Dans le Restaurant
Le garcon délabré qui n'a rien à faire
Que de se gratter les doigts et se pencher sur mon épaule :
« Dans mon pays il fera temps pluvieux,
Du vent, du grand soleil, et de la pluie ;
C'est ce qu'on appelle le jour de lessive des gueux. »
(Bavard, baveux, à la croupe arrondie,
Je te prie, au moins, ne bave pas dans la soupe).
« Les saules trempés, et des bourgeons sur les ronces ―
C'est là, dans une averse, qu'on s'abrite.
J'avais sept ans, elle était plus petite.
Elle etait toute mouillée, je lui ai donné des primavères. »
Les tâches de son gilet montent au chiffre de trente-huit.
« Je la chatouillais, pour la faire rire.
J'éprouvais un instant de puissance et de délire.
Mais alors, vieux lubrique, à cet âge...
« Monsieur, le fait est dur.
Il est venu, nous peloter, un gros chien ;
Moi j'avais peur, je l'ai quittee a mi-chemin.
C'est dommage. »
Mais alors, tu as ton vautour !
Va t'en te décrotter les rides du visage;
Tiens, ma fourchette, décrasse-toi le crâne.
De quel droit payes-tu des expériences comme moi ?
Tiens, voilà dix sous, pour la salle-de-bains.
Phlébas, le Phénicien, pendant quinze jours noyé,
Oubliait les cris des mouettes et la houle de Cornouaille,
Et les profits et les pertes, et la cargaison d'etain :
Un courant de sous-mer l'emporta tres loin,
Le repassant aux étapes de sa vie antérieure.
Figurez-vous donc, c'etait un sort penible ;
Cependant, ce fut jadis un bel homme, de haute taille.
Quelles racines s'agrippent, quelles branches croissent
Parmi ces rocailleux débris ? O fils de l'homme,
Tu ne peux le dire ni le deviner, ne connaissant
Qu'un amas d'images brisées sur lesquelles frappe le soleil :
L'arbre mort n'offre aucun abri, la sauterelle aucun répit,
La roche sèche aucun bruit d'eau. Point d'ombre
Si ce n'est là, dessous ce rocher rouge
(Viens t'abriter à l'ombre de ce rocher rouge)
Et je te montrerai quelque chose qui n'est
Ni ton ombre au matin marchant derrière toi,
Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre;
Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière.
Hommes creux
Un sou pour le vieux
Nous sommes les hommes creux
Nous sommes les hommes en peluche
S'incliner ensemble
Casque plein de paille. Ailes!
Nos voix sèches, quand
Nous chuchotons ensemble
Ils sont encore et sans signification
Comme le vent sur l'herbe sèche
Ou pattes de rat sur du verre brisé
Dans notre cellule sèche.
Figure sans forme, teinte incolore,
Force paralysée, geste sans mouvement;
Ceux qui ont traversé
Avec des yeux directs sur l'autre royaume de la mort
Ils nous rappellent - si quelque chose - pas aussi perdu
Âmes violentes mais seulement
Comme des hommes creux
Les hommes en peluche.
II
Des yeux que je n'ose trouver
Dans l'autre royaume du rêve de la mort
Celles-ci n'apparaissent pas
Là, les yeux sont
La lumière du soleil sur une colonne cassée
Il y a un arbre qui se balance.
Et les voix sont
Dans le vent chantant
Plus lointain et plus solennel
Qu'une étoile fanée.
Ne me laisse pas me rapprocher
Dans le royaume du rêve de la mort
Laisse moi utiliser
Un tel déguisement délibéré
Manteau de rat, peau de corbeau, planches croisées
Sur un terrain
Se comporter comme le vent se comporte
Pas plus près
Pas cette dernière réunion
Au royaume du crépuscule
III
C'est la terre morte
C'est la terre des cactus
Ici les images de pierre
Ils se lèvent, ici ils reçoivent
La supplication de la main des morts
Sous le scintillement d'une étoile qui s'estompe.
Et c'est comme ça
Dans l'autre royaume de la mort
Se lever seul
Au moment où nous sommes
Tremblant de tendresse
Des lèvres qui s'embrasseraient
Des prières à la pierre brisée
IV
Les yeux ne sont pas là
Nous tâtons
et nous évitons le mot
Rassemblé sur cette plage fluviale gonflée
Pas de regard, à moins que
Les yeux réapparaissent
Comme l'étoile perpétuelle
Rose avec de nombreux pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
Rose avec de nombreux pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
L'espoir seul
Des hommes vides.
V
Ici on fait le tour du cactus
Cactus cactus
Ici on fait le tour du cactus
A cinq heures du matin
Entre l'idée
Et la réalité
Entre mouvement
Et l'acte
L'ombre tombe
Parce que le vôtre est le royaume
Entre la conception
Et création
Entre l'émotion
Et répond
L'ombre tombe
La vie est très longue
Entre le désir
Et le spasme
Entre le pouvoir
Et l'existence
Entre l'essence
Et la descente
L'ombre tombe
Parce que le vôtre est le royaume
C'est la façon dont le monde finit
C'est la façon dont le monde finit
C'est la façon dont le monde finit
Pas avec un bang, mais avec un murmure.
Parce que je n'espère plus me tourner à nouveau
Parce que je n'espère plus
Parce que je n'espère plus me retourner
Enviant le don de celui-ci et l'envergure de celui-là
Je ne m'efforce plus de m'efforcer vers de telles choses
(Pourquoi l'aigle chenu déploierait-il ses ailes ?)
Pourquoi lamenterais-je
Le pouvoir évanoui du règne habituel ?
Parce que je n'espère plus connaître de nouveau
La gloire débile de l'heure positive
Parce que je ne pense pas que je saurai
Parce que je sais que je ne saurai pas
Le seul vrai pouvoir transitoire
Parce que je ne puis boire
Là où fleurissent les arbres et coulent les fontaines, car il n'est rien qui revienne.
Parce que je sais que le temps est toujours le temps
Que le lieu est toujours et seulement le lieu
Que ce qui est réel ne l'est que pour un temps
Ne l'est que pour un lieu
Je me réjouis que les choses soient ce qu'elles sont
Et je renonce au visage béni
Je renonce à la voix
Parce que je n'espère plus me tourner à nouveau
En conséquence je me réjouis, ayant à construire quelque chose
Dont je puisse me réjouir.
Tournons autour du fi-guier
De Barbarie, de Barbarie
Tournons autour du fi-guier
Avant qu'le jour se soit levé.
Entre l'idée
Et la réalité
Entre le mouvement
Et l'acte
Tombe l'Ombre
Car Tien est le Royaume
Entre la conception
Et la création
Entre l'émotion
Et la réponse
Tombe l'ombre
La vie est très longue
Entre le désir
Et le spasme
Entre la puissance
Et l'existence
Entre l'essence
Et la descente
Tombe l'Ombre
Car Tien est le Royaume
Car Tien est
La vie est
Car Tien est
C'est ainsi que finit le monde
C'est ainsi que finit le monde
C'est ainsi que finit le monde
Pas sur un boum, sur un murmure.
Le miracle est arrivé ! Il se nomme Mirèio, le poème que Frédéric Mistral, le fondateur du Félibrige, publie en 1859, au mitan du siècle des nationalités. À partir de là, et jusqu'à aujourd'hui, va fleurir, au Sud, une immense renaissance des langues et des littératures. En Provence, mais aussi dans le Languedoc, la Gascogne, le Limousin et l'Auvergne. C'est cette saga culturelle du Midi que raconte ici, avec science et style, Stéphane Giocanti.
Qui sont ces rebelles en butte au jacobinisme et à la stigmatisation des « patois » ? Quelle a été leur fabuleuse aventure héroïque et collective ? Quel rôle l'occitanisme a-t-il joué au sein de ce réveil ? Comment ce renouveau a-t-il influencé Alphonse Daudet, Jean Giono ou Marcel Pagnol ? Que reste-t-il de ce rêve à l'heure où les locuteurs naturels connaissent un crépuscule ? Et que nous dit cette résistance alors que la France s'interroge sur son avenir ?
Avec ce panorama inégalé, complet et clair, alerte et accessible, Stéphane Giocanti nous initie comme jamais au Sud, à sa terre et à son ciel, à ses peuples et à ses parlers. Une célébration lumineuse.
Essayiste et romancier, Stéphane Giocanti est, entre autres, l'auteur de T. S. Eliot ou le monde en poussières, C'était les Daudet, Une histoire politique de la littérature ainsi que de Kamikaze d'été.
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