Oui c'est ça, chacun de mes livres n'est en définitive qu'une mue. Et moi, un phasme qui se meut lentement, de roman en roman, en se fondant dans son environnement et en se camouflant dans la fiction. Jusqu'à perdre ma propre trace.
L’écriture n’est pas une confession, non, ni une plainte, ni une accusation, ni une provocation, ni un pardon, ni une vengeance, surtout pas une thérapie, mais l’élaboration pudique d’une pensée qui donne accès à la connaissance.
De soi et des autres,
pour construire
avec et pour eux, à partir de ce qui a été vécu et de ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes.
Parce que nous sommes les autres.
Parce que je suis Dindon.
Et parce que des Dindons, il y en a partout.
J'aime nos différences et le vaste champ de bataille que celles-ci nous offrent. Lors de nos combats passionnés qui nous opposent et nous rapprochent, nous jouons de nos polarités, incessamment. Fougueusement. Vu que nous sommes d'accord de ne pas l'être, l'attraction finit par l'emporter et nous devenons alliés. Forts. Forts ensemble.
Tout ce que je vis aujourd’hui me sert pour demain. Happé par l’avenir, j’ai le devoir de l’écrire, d’en faire quelque chose, d’enquêter, de mettre du sens. De comprendre ? Tant que je ne l’ai pas écrit et qu’il n’a donc pas subi de transformation consciente qui fait que je ne peux plus penser comme avant, ça n’existe pas.
C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais raconté ce qui s’est passé entre nous.
La raconter à qui,
et comment,
et pourquoi ?
Qui peut entendre ?
J’ai la même crainte en t’adressant cette lettre… celle de ne pas être compris,
de te blesser.
Et de payer ensuite.
Le lendemain du marathon, après avoir dormi douze heures d'affilée dans ma chambre d'hôtel, j'avais envie d'être dans le monde,
d'en faire partie.
T’écrire cette lettre n’est pas un acte délibéré, mais une nécessité. Sa publication aussi.
La mémoire est le plus puissant porte voix que je connaisse.
J’écris comme un promeneur taïwanais en balade au sommet du Schilthorn,
je ne sais où je vis,
mais j’y vais.
J’écris.
Je t’écris.
Je découvre mes pensées en écrivant, les construis en empruntant des chemins épars, sans signalisation, inconscients, et tombe sur des souvenirs refoulés.
Mes genoux de gamin sont écorchés mais je poursuis.
Je randonne.
M’accroche
grimpe
M’élève.