"elle se demandait encore et souvent combien Amadou avait empoché pour la trahir."
Lorsque Nadja et Paul s'étaient rencontrés, Paul ne voulait surtout pas d'enfant. Il pensait alors avoir tant d'autres choses - plus importantes - à faire, et surtout, ne pas être de la trempe des pères. Il disait que le monde allait trop mal pour assumer la responsabilité d'y planter une vie de plus.
Parfois, Patrick regarde Nadja dans les yeux, comme s'il y cherchait quelque chose. Rien à voir avec le regard d'un homme qui s'abandonne à la chute amoureuse, non, il essaye de décoder un mystère. S'il savait, pense Nadja, à quel point il n'y a pas de mystère, à quel point c'est seulement du vide.
Parfois, Nadja imagine un monde en sucre, un monde qui sous la pluie deviendrait sirop et se désintégrerait, mais tout doucement, une vie qui pourrait fondre et disparaître, mais sans violence, en silence, tout doucement. Parce qu'il en serait mieux ainsi.
Nadja prenait des trains, dormait dans des hôtels, s’asseyait derrière les stands et les piles de livres, mais ce n’était pas elle. Elle se quittait, elle quittait sa vie sur les quais des gares, elle s’éloignait et s’oubliait.
A quinze ans, Nadja avait eu l'impression d'aller à sa propre rencontre, dans ce mélange d'excitation, de rage et d'apathie propre à l'adolescence. Puis les choses s'étaient enchaînées comme elles s'étaient enchaînées, l'excitation et la rage avaient pâli, l'apathie avait pris toute la place, d'autres avaient commencé à décider pour elle, ses parents d'abord, puis le docteur Cohen, puis Paul, et elle avait tout le temps froid, elle avait tout le temps peur, elle s'était mise à tout oublier, tout sauf ce dont on lui avait interdit de se souvenir.