Grâce à Ecran, j'avais découvert que la plupart des acteurs et des actrices célèbres avaient de faux noms car les leurs, les vrais, étaient aussi moches que le mien. Ou même davantage. Pola Negri, la diva du cinéma muet, était le meilleur exemple. J'avais toujours beaucoup aimé son nom. Je le trouvais parfait pour une actrice. Mais, un jour, j'ai découvert avec horreur que c'était un pseudonyme: elle s'appelait en réalité Apolonia Chavulez. Consternée, je me suis dit, ce n'est pas possible. Avec un nom pareil, la pauvrette n'aurait même pas eu assez de grâce pour battre des cils.
J'ai eu une autre déception quand j'ai su que le vrai nom d'Anthony Quinn, un de mes acteurs préférés, était Antonio Quiñones .
Le glamour en prend un sacré coup!
La salle plongée dans la pénombre me fascinait : elle ressemblait à une sorte de caverne mystérieuse, secrète, toujours inexplorée. Quand je franchissais les lourds rideaux de velours, j’avais l’illusion de passer de la dureté du monde réel à un monde merveilleux et magique.
Il arrivait aussi que le Bancal du Ciné, comme on appelait l'opérateur, se trompe dans les rouleaux de pellicule-surtout quand il avait but un coup de trop- et nous passe la fin au milieu du film.
Ou le début à la fin.
Ou le milieu du début.
Dans ce méli-mélo,on comprenait que dalle.
P.49-50
Au fond, je crois que j'avais une âme de commère car il me suffisait de regarder les deux ou trois photos collées sur le panneau d'affichage - le regard lascif du curé, la moue innocente de la jeune fille et l'air complice de la bigote - pour inventer une trame, imaginer toute une histoire et me passer mon propre film.
Et les choses ont commencé à bien marché. La "salle" se remplissait d'enfants et d'adultes, d'hommes et de femmes. Certains allaient voir le film au cinéma et venaient ensuite l'écouter raconter chez nous. Après quoi ils sortaient en disant que le film que j'avais raconté était mieux que celui qu'ils avaient vu.