Intrigue amoureuse en pleine pampa !
Voilà une petite pépite qui nous vient tout droit du Chili, un véritable conte qui déroule son intrigue dans le désert lunaire, silencieux et hostile de l'Atacama, où le travail harassant dans les mines de salpêtre trouble à peine cette solitude (une « solitude pachydermique ») de planète abandonnée parfois brumeuse de mirages bleus lorsque la chaleur est infernale, ces étendues soudainement colorées lorsque les fleurs éclosent, une fois par an seulement, grande marée florale de 24 heures. Tel est le cadre, magnétique et magnifique, somnambulique, de la pampa dans lequel l'auteur chilien
Hernan Rivera Letelier déploie son intrigue amoureuse.
« le lundi où j'ai emmené Rosario à ma pension était un jour nuageux. Des bancs de petits nuages d'un gris aluminium flottaient dans un ciel bas. C'était une de ces journées de brise légère (un jour vineux, comme aurait dit le Chinois) où les enfants de la pampa en profitent pour jouer dans la rue : les plus petits à la ronde de San Miguel et les plus grands au furet. Les adultes assis devant leur porte – le père en tricot de peau, la mère en train de tisser des sandales – les regardaient jouer en éprouvant la nostalgie du pays perdu de leur enfance ».
Une histoire classique me direz-vous, voyez plutôt : La jeune et magnifique Leda, fantasme de tous les hommes de la pampa, candidate sérieuse pour le concours de beauté lui permettant d'être Reine de printemps, hésite entre Eleazar, ouvrier dans l'une des dernières mines de salpêtre, jeune homme sensible, poli et gentil, qui prend des cours du soir, poète passionné qui passe tout son temps libre à lire et à écrire des vers (surnommé ainsi Bouffelivres) et Roseria Ferreo, jeune boxeur fougueux, audacieux, impulsif, aux manières canailles, aux yeux de jade faisant tourner la tête de toutes les femmes de la ville. Qui, de la sensibilité ou des muscles, de la passion timide ou de la gaudriole, sauront conquérir le coeur de Leda ? Sur quoi la rivalité amoureuse va-t-elle déboucher ?
Une histoire classique certes mais sertie d'une ambiance hypnotique, dans un lieu singulier où le printemps n'existe pas (d'où la célébration de la fête du printemps durant laquelle les serpentins, la musique, les rires et les feux d'artifice font office de fleurs, rares en cette contrée), et habitée par des personnages très attachants. Nous ressentons toute la tendresse de Letelier pour ces hommes et ces femmes en cet endroit rude, enfants et personnes âgées, mineurs et prostituées auxquelles il rend d'ailleurs hommage, « femmes légendaires – tragiques et dionysiaques, comme dirait
Pablo de Rokha, sans leur contribution sociale, sexuelles, amoureuse, la conquête de ce désert aurait été impossible, ou beaucoup plus ardue ». Des hommes et des femmes qui rêvent d'ailleurs mais qui restent, comme englués, parfois à en devenir fous…
C'est également un hommage aux livres, à la poésie surtout. L'épilogue « indispensable » en fin de livre nous laisse à penser qu'Eleazar est le double de l'auteur. Sans doute, Letelier, comme le jeune poète, a découvert tardivement le bonheur immense que pouvait procurer un roman après avoir découvert la poésie et ne croire qu'en elle. Après avoir pensé seulement qu'à la création d'un monde dans un vers, planche de salut pour survivre à l'ennui en cet endroit du monde isolé et au travail harassant dans la mine. Il aura suffi d'un roman, un seul, pour qu'un univers s'ouvre lui donnant envie d'écrire un roman à son tour.
« Je découvris que le poème n'était pas le seul écrin de la poésie et que celle-ci pouvait parfaitement cohabiter avec la prose »…
Intéressant aussi de noter que plusieurs références dans le récit renvoient aux autres livres de l'auteur qu'il me tarde de découvrir tant sa façon de nous embarquer dans un récit très pittoresque avec beaucoup de tendresse et de générosité, et beaucoup de poésie m'a plu.
Les éditions Métailié ont le don de proposer de beaux récits qui nous ouvrent la porte de mondes lointains. Je remercie @viou1108_aka_voyagesaufildespages dont les lectures toujours éclectiques du monde entier me sont une précieuse source d'inspiration !