En ce monde clos et cloisonné, les nantis tout comme les damnés n'ont pour seul et unique horizon que les parois de leurs wagons.
- Ma chérie, le problème avec ce genre de vérités, c'est que personne n'est prêt à les croire, surtout au Sud... Bon... ce n'est pas la peine de me faire chanter... c'est d'accord.
- Merci, papa ! Tu es le plus adorable des dictateurs... (p.141)
- Jusqu'à quand remontent les archives des arpenteurs ?
- Jusqu'à au moins quinze ans...
- Génial !
- Tiens... Je n'arrive pas à obtenir le premier exercice de freinage... Pourtant je m'en souviens. J'étais petite, j'étais dans le Q.G. avec mon père.
- Qu'est-ce qui se passe ? On dirait que toutes les traces de ce jour-là ont disparu...
- Vous aimez lire ?
- Mmmm...
- Moi, j'ai toujours vécu parmi les livres... Tous ceux qui sont là, je les ai lus... Et relus, parfois. Mais je donnerais cher pour sentir encore une fois l'odeur d'un livre neuf...
- Tous ces bouquins !... C'est à vous ?
- Certains proviennent de la bibliothèque du convoi qui existait à l'époque des voyages d'agrément, ce sont des romans, pour la plupart, autrefois sans grand intérêt, précieux aujourd'hui. Le reste est à moi... Quand il a fallu fuir l'invasion du froid, les gens ont bourré leurs valises de vêtements, de victuailles ou d'objets précieux... moi j'ai préféré emporter mes bouquins ! Enfin, quelques-uns, tout ce que je pouvais humainement transporter !
A l'avant sont les voitures dorées,
Grand luxe et confort capitonné.
A l'arrière et loin de la loco
Se trouve entassé le populo.
Cela remonte à quelques mois après l'départ, quand on a commencé à craquer dans la pénombre de nos fourgons mal chauffés, pendant qu'vous vous prélassiez, bien nourris et bien à l'aise, dans vos sleeping dorés... L'histoire classique, quoi !Fallait qu'ça pète si on voulait s'faire notre place....Vous ne vous aviez laissé que la force pour recours et vous avez appelé ça "La ruée sauvage"...pour nous c'est resté "le massacre". Les tueurs en uniforme que vous avez envoyés pour défendre votre espace vital n'ont eu aucun mal à nous écraser...et les survivants, domptés, ont regagné leur ghetto...puis vous avez refermé la brèche et condamné définitivement toute communication. Ce jour-là, vous avez tué tout espoir... Ce jour-là, vous nous avez assassinés.
Le sexe et la baise...sous toutes ses formes et de toutes les façons possibles et imaginables! C'est ce qu'ils ont trouvé d'mieux contre l'angoisse et l'ennui.
... Mais des fourgons les plus reculés
La mort qui, soudain, s'est échappée
Lentement remonte le convoi
Semant partout l'horreur et l'effroi...
On l'appelle le crève-glace
Il passe et il repasse
Avalant l'espace.
On l'appelle le crève-glace
Toujours la mort en face
Jamais il ne se lasse
Le crève-glace... (p.142)