Pampa n'aime pas le goût des lèvres maquillées, il a du mal à comprendre qu'il puisse avoir un rapport avec le sexe ou l'amour. Le maquillage, c'est pour les morts.
L'eau est froide, très froide.
Un instant, à la surface, les ondes concentriques s'élargissent et s'épuisent. Pampa reste sous l'eau, retenant son souffle, sentant la morsure du froid sur sa peau. Il semble attendre qu'au dessus de lui, le lac s'apaise. Retrouve son calme plat et huileux. Pampa, sans y accorder trop d'importance, joue à cache-cache une longue minute, sentant la paralysie de ses poumons.
Son père est bien là où il est, mort et oublié. Aussi oublié qu'un mort peut l'être. Pendant longtemps, son père n'a été que le contour de la peur à peine perceptible dans les yeux de sa mère lorsqu'elle avait le regard perdu. Elle aussi est morte, désormais. Aussi morte que peut l'être quelqu'un qu'on oubliera pas.
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D'un arbre robuste, à quelques mètres du bord, une femme pend. Le corps d'une femme. Pampa n'a pas peur, mais plutôt honte. Il vient de se rendre compte que il est nu.
Les bruits nocturnes de la petite ville échouaient à couvrir le silence des champs voisins.
Pendant quelques minutes, debout au bord de l'eau, Pampa sent sur son visage l'humidité gelée qui remonte. Il regarde maintenant le ciel sans nuage. Il rejette la tête en arrière et sent le vertige de l'immensité et du silence.
Le soleil vertical de midi est arrivé et a poursuivi sa course, brisant le givre sur les tuiles du toit à double pente du poste de police de Monge. Le craquement progressif de ce givre dur, qui se casse sans fondre, a été, de toute la journée, le seul bruit ayant attiré l'attention des deux jeunes hommes qui s'ennuient dans le local vide.
Il sait que pour être en faute il suffit d’une chose, d’une seule suivit d’une autre.
De temps en temps, il ferme les yeux, exprès, car dans la pénombre où il se trouve, les paupières ne clignent pas. Il les ferme et écoute les bruits de la nuit. La marche minuscule et aveugle des insectes nocturnes, les crissements des choses invisibles qui se cassent, tout près ou au loin, le clapotis du lac derrière lui. Il écoute aussi la neige distiller quand elle cesse d’être neige, parfois même avant de toucher le sol. Le cours du temps ne peut exister que dans les bruits.
Voilà encore une chose qui a changé. La neige assourdit, ensourdine. Transforme les bruits et le silence aussi.