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Critique de HordeDuContrevent


Je ne sais pas si j'ai tout compris. Je me pose des questions quant aux mobiles du crime, des crimes, car dans une histoire de meurtre, il y a toujours un mobile ou plusieurs mobiles, n'est-ce pas ? Tout se confond dans ma tête et il m'est d'avis que c'est bien là l'objectif de Ricardo Romero que d'amener son lecteur dans une espèce de confusion, une confusion poétique, une confusion du sens de l'histoire pour mieux honorer l'atmosphère incroyable qui s'en dégage.


Oui, et si l'atmosphère distillée était le véritable personnage de ce livre, elle qui anime les protagonistes, leur volonté, leurs croyances, scelle les destins ?
Un conte de neige, un conte d'hiver où les vivants et les morts se confondent facilement, s'entrelacent, font boule de neige, où toute trace de raisonnement s'estompe, s'efface, au profit d'un blanc immaculé quasi féérique qui n'a que l'apparence de la pureté cachant en réalité, en petites traces à peine perceptibles, en petits bruits étouffés emplis de pressentiment, la folie des hommes, leurs obsessions, leur noirceur.
Si le lecteur accepte de mettre au premier plan ainsi l'atmosphère, ce livre peut être considéré comme un véritable chef d'oeuvre, une pépite rare, s'il veut en revanche absolument comprendre le pourquoi du comment, ce livre risque de dérouter fortement l'amateur de polar classique. Je fais partie de la première catégorie de lecteur, plaçant très souvent la poésie et l'ambiance avant la quête rationnelle de sens. Ce livre est ainsi de mon point de vue un livre hors norme, un livre qui se déguste, se lit à voix haute, qui a gravé en moi des images terribles, flashs de pendus telles de monstrueuses ruches incongrues. Ça bourdonne en moi, ces persistances rétiniennes ont du mal à s'effacer, comme lorsque l'on ferme fort les yeux après avoir trop regardé la lumière, formes monstrueuses noires auréolées d'un rouge inquiétant, virevoltant follement, Ricardo Romero sait nous embarquer avec lui et nous ensevelir sous un blanc inquiétant…

« Tout est blanc autour de lui, tout est lumineux. le froid est lumière, la fatigue est lumière, les minces flocons de neige sont des quartiers de lumière qui lui touchent le visage, seule partie de son corps qui soit encore nu, car il a remis ses gants et enroulé son écharpe autour de son cou ».


Fraîchement émoulu de l'école de police, Pampa Asain est muté dans la petite ville de Monge, en pleine campagne argentine à plus de 400 km de Buenos Aires. Là-bas, il n'y a rien – une route, un bar, une quincaillerie, des maisons abandonnées – et il ne se passe rien, du moins en apparence. Souvent désoeuvré au sein du poste de police, à boire du maté et à essayer de régler une radio de laquelle émane le plus souvent que des grésillements, friture qui éclabousse le silence, avec son collègue Parra, un étrange appel lié à une pêche illégale, l'envoie au bord d'un étang ; là-bas, il tombe sur le corps d'une jeune fille pendue aux branches d'un arbre. La scène dure des heures, toute la nuit, Pampa prend le temps de regarder, de s'imprégner, de comprendre, de façon quasi animale. le froid est intense et la neige se met à tomber. Pampa semble ne faire qu'un avec ce froid, allant même jusqu'à se baigner dans l'eau gelée du lac. Est-il l'hiver comme il aime se le répéter tel un mantra ? Celui qui comprend intimement cette saison, qui fait corps avec elle, qui sait les sons, les silences, la lame tranchante du froid, ankylosante au point d'effacer les membres, comme si le froid ne laissait que moignons et membres fantômes ? Un instinct qui se fond avec le froid, « ignorant jusqu'à sa peau et sa chair, pour atteindre ses os » ? Qui devine ainsi des choses indicibles par dissolution avec et dans les éléments ?
Presque malgré lui, mû par cette compréhension viscérale, par ses souvenirs et ses obsessions, d'une manière qu'on peut qualifier de peu orthodoxe, Pampa va enquêter en pleine tempête de neige et découvrir les étranges secrets de cette petite communauté...C'est dans ses secrets que j'ai eu un peu de mal à démêler les liens entre les quelques protagonistes, mais j'ai accepté ce flou, comme je peux accepter et aimer le flou propre aux contours enneigés des paysages.


Le texte flirte avec le gothique, avec le fantastique. Parfois on se demande, avec Pampa, si tout cela existe réellement, si tout, y compris lui-même, ne va pas s'effacer et disparaître, à l'image des traces effacées par la neige… Ricardo Romero joue avec les distances et avec le temps, brouille les frontières entre le réel et l'imaginaire, brouille nos repères pour mieux nous perdre. La sorcière du conte n'est pas forcément celle que nous croyons et la neige semble posséder une force maléfique et suspendre le temps, étirer le temps présent…

« Pampa sait que les distances sont instables. Que l'obscurité rapproche les choses quand la lumière les éloigne. Maintenant il y a beaucoup de lumière ; jamais dans sa vie il n'a affronté autant de lumière. du ciel nuageux et compact tombent des cris d'oiseaux invisibles. Pampa les entend et n'y croit pas. Aucun oiseau ne volerait avec cette neige ».


Complètement envoutée par la langue magique de Ricardo Roméro, habitée tant par les images offertes que par les vérités, jamais dites, juste susurrées, suggérées dans un souffle glacial qui dépose en vous une couche givrée. Touchée par la proposition de titres musicaux, la playlist, à la fin du livre à écouter tout en lisant (je suis très sensible par cette association livre / musique). du Leonard Cohen (You want it darker), du Björk (Where is the line), du Roger Water (Amused to death), des titres hypnotisants et équivoques. J'aurais rajouté, si vous me permettez M. Roméro, un titre de Cocorosie, Smokey taboo par exemple…Allez y, écoutez et vous aurez une petite idée de l'atmosphère unique de ce magnifique livre…

Merci idil et Onee de m'avoir conduit à ce récit singulier, j'y ai trouvé vos empreintes encore chaudes et palpitantes sous le manteau de neige …
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