Istanbul

Les pêcheurs naviguent dans les eaux d'une mer latine, où Ulysse avait autrefois navigué, Homère ne reste jamais loin; Aristote et saint Augustin non plus. Les gestes nous parlent de l'orgueil de vivre, de peuples accomplis, d'une façon de s'accorder au monde, d'une certaine unité, de l'une à l'autre rive de cette mer qui fut l'une des patries de l'âme. Et si le temps avait bientôt fini de lamper cette histoire qui est la notre? Pour la première fois, je pense à tous ces hommes comme à des personnages d'une éternité qui n'en aurait plus pour longtemps.

Comme si tous les âges de l'homme, ses bas et ses hauts, s'étaient retrouvés là, tous ensemble, au même moment et tous également vivants, l'Asie et l'Europe, front contre front; comme si la monde s'appuyait sur ce point d'équilibre toujours en rupture, dans un silence de film muet. Car rien, pas un son, ni bruit de moteur ni voix d'homme, ni plainte ni soupir. La symphonie est muette. Quinze millions personnes vivent ici, ils travaillent, s'aiment, se querellent, ils ont faim, ils suent, ils souffrent, ils prient, ils refusent de prier, ils dorment et ils rêvent, et je vois tout de ce que leurs vies racontent sans rien entendre.

Le Bosphore a ses contemplatifs, ceux qui s'enivrent de l'ensoleillement des eaux, assis sur la pierre des berges, ou aux terrasses des cafés, il a ses promeneurs, qui marchent le long du rivage et règlent leur pas sur ses remous. D'autres le regardent de loin, les heureux, de nuit comme de jour, sur le plein écran de leurs fenêtres, ou bien de leurs terrasses, dans des appartements à hauteur, à Cihangir ou à Ortakoy.

4ème de couverture - Certains disent que le cœur d'Istanbul est rempli de Dieu, et que la présence du Très-Haut a quelques chose de charnel, comme si la ville était un œil posé sur le grand corps divin, avec toutes ces sources qui ruissellent, les fleurs et les grappes de raisin des mosaïques , et les eaux du Bosphore où coule l'infini de la lumière. Si tous les peuples sont venus hennir du côté de ce premier Orient, qui fut aussi longtemps la capitales et le conservatoire de l'Europe, ce n'est pas seulement à cause de l'assise royale de la ville sur les extrémités de deux continents, à cette confluence d'Asie et d'Europe, comme on dit. Il y avait autre chose. D.R.

Leurs gestes nous parlent de l'orgueil de vivre, de peuples accomplis, d'une façon de s'accorder au monde, d'une certaine unité, de l'une à l'autre rive de cette mer qui fut l'une des patries de l'âme.