Résisterez-vous

Comprenez bien, Esmée, j’éprouve de tendres sentiments à votre égard. Je le reconnais. Cependant, la vie m’a appris que laisser parler son cœur rapporte bien peu et rarement de quoi vivre dignement. Regardez cette maison ! Elle transpire la pauvreté et mes revenus ne me permettent pas d’entretenir une femme ! s’emporta-t-il.

Ne vous bercez-vous pas d’illusions ? Les sentiments représentent bien peu face aux aléas de la vie. Ils ne résistent guère lorsque l’existence se charge de vous ramener à la raison.

Esmée connaissait les risques d’un comportement immature ou irraisonné, le rejet, la honte, la descente aux enfers des filles fautives. Elles seules portaient le poids de l’opprobre et subissaient toute leur vie les conséquences d’un acte irréfléchi. Pourtant, sa curiosité se teintait d’une excitation décadente lorsqu’elle imaginait Andrew lui apprendre les choses de l’amour. Qu’un autre la touche la révulsait. Cependant, garder ses distances prouvait à Andrew sa dignité et son sérieux.

Tous les soirs, elle revivait avec émoi ces instants enchanteurs, imaginait ses lèvres sur les siennes, ses bras autour d’elle. À ces pensées, son corps s’échauffait inexplicablement, son cœur s’emballait, elle se sentait toute chose, revoyait Betty troussée par le valet de pied dans le cellier, s’affolait des idées impies qui la bouleversaient au cœur de la nuit.

La bienséance interdisait à Esmée de pénétrer dans la maison d’un célibataire. Si quelqu’un les surprenait, sa réputation serait ternie à jamais. Certes, depuis quelques semaines, ils se retrouvaient discrètement à l’arrière du presbytère dans l’ancien cloître déserté par les fidèles. Ils se promenaient, discutaient de leurs lectures, abordaient leurs tracas ou leurs petits bonheurs. Chacun apportait un livre en guise d’excuse et prétendait échanger les ouvrages à l’intention du comte.

Elle frissonna en imaginant le duc semblable au vieil Abel Marsh, l’homme le plus odieux et libidineux qu’elle connaisse. La manière dont il lorgnait son décolleté ou la détestable façon dont il frôlait ses hanches l’insupportait. Elle préférait entrer au couvent pour le reste de sa vie plutôt que subir les attouchements d’un tel monstre.