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Critique de Sachenka


«Mais personne peut battre Roosevelt, dis-je.
-Lindbergh va le battre. L'Amérique sera fasciste.» (p. 46)
Évidemment, dans la vraie vie, ça ne s'est pas produit. Ça ressemble plus à un scénario de film catastrophe. Mais Philip Roth s'est pris à imaginer le pire : et si c'était arrivé ? Et si Lindbergh avait réussi à gravir les échelons de la convention républicaine et à voler son troisième mandat présidentiel à Roosevelt ? Ce n'est pas si fou. En 1940, Charles Lindbergh est un pionnier de l'aviation, une étoile montante, une vedette. Partout, les foules se dépalcent pour le voir, l'écouter. Et il a beaucoup à dire. Leader du mouvement America First, il est un ardent défenseur de l'isolationnisme, du maintient des Etats-Unis hors de la guerre. Pire, il est germanophile (comme beaucoup d'Américains aux origines allemandes et scandinaves), sympathique au régime nazi. L'avenir de ce grand pays, de ses citoyens juifs et du monde entier aurait été tout autre. C'est le complot contre l'Amérique.

Avec un tel individu comme président, comment l'histoire aurait-elle été modifiée ? Lindbergh signerait plutôt un pacte de non-agression avec Hitler. On oublie la participation directe des Etats-Unis dans la Seconde guerre mondiale, mais on oublie également l'aide matérielle et financière au Royaume-Uni pour soutenir son effort de guerre. Ainsi, l'issue du conflit aurait été très différente sur le Vieux Continent.

Toutefois, l'attention de Philip Roth porte surtout sur le sort des Juifs américains. En quoi aurait-il été changé ? Évidemment, les Etats-Unis ne sont pas l'Allemagne. Ce dernier pays remplissait certaines conditions qui l'ont transformé en ferreau fertile à l'essor du nazisme. L'auteur n'imaginait pas des ghettos, des chambres à gaz ni la Shoah en Nouvelle-Angleterre. du moins, pas dans les premières années. Plutôt, l'antisémitisme galopant aux Etats-Unis aurait pris une tournure différente… Plus subtile. Plus terrifiante.

Vraisemblablement, tout aurait commencé graduellement. On aurait sollicité, forcé des leaders juifs à se montrer conciliants, coopérants. On aurait envoyé les enfants juifs dans des camps de «vacances» où ils auraient été pris en charge par des bons chrétiens qui leur auraient appris les «bonnes valeurs». On aurait imposé des «promotions» à leurs parents dans des endroits reculés du pays, loin des leurs, où il leur aurait été difficile de continuer à pratiquer leur religion. Petit à petit, leurs droits auraient été restraints, pour leur propre intérêt. Pourquoi s'opposeraient-ils à toute mesure visant leur meilleure intégration dans la société américaine ? Ce serait très peu patriotique de leur part. Bref, ce qui aurait été envisagé, c'est l'assimilation, purement et simplement. Et en dernier recours seulement, les violences et la solution finale.

Tout le génie de Philip Roth et de Complot contre l'Amérique, c'est d'entremêler de façon habile les faits histoires à son intrigue. Les propos fascistes de Lindbergh, ceux antisémistes de Henry Ford, les propos incendiaires de Walter Winchell, etc. À la fin, un post-scriptum d'une quarantaine de pages de références et de biographies ayant servi à rédiger son livre. Ça ajoute à la crédibilité de l'oeuvre qui constitue un véritable coup de poing lancé à la gueule des Etats-Unis. On entend souvent les leaders et les élites américaines ressasser leurs sacro-saints droits fondamentaux, en arbitre du monde libre. Pourtant, on sait qu'ils sont les premiers à renier ces droits et libertés quand cela leur convient. Et c'est bien de leur rappeler qu'ils ne sont pas parfaits et que leur pays aurait pu facilement basculer du côté fasciste. Personne n'est à l'abri du populisme et de ses conséquences.

Un seul aspect m'a moins emballé, et c'est la fin. Toute cette histoire d'enlèvement de l'enfant des Lindbergh (qui s'est réellement produit) a été recyclée pour faire partie d'un complot aux envergures effrayantes. Il s'agit d'une théorie qui existe réellement bien que peu y accordent foi. Certains lecteurs l'apprécieront ; moi, j'ai trouvé que c'était inutilement complexe, que cela provoquait trop de rebondissements qui nous éloignaient de l'essentiel. À vous de voir.
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