J'étais fait pour vivre, et je meurs sans avoir vécu.
"Ces ravissements, ces extases que j’éprouvais quelquefois en me promenant ainsi seul, étaient des jouissances que je devais à mes persécuteurs : sans eux je n’aurais jamais trouvé ni connu les trésors que je portais en moi-même."
Ayant donc formé le projet de décrire l'état habituel de mon âme dans la plus étrange position où se puisse jamais trouver un mortel ,je n'ai vu nulle part manière plus simple et plus sûre d'exécuter cette entreprise que de tenir un registre fidèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent quand je laisse ma tête entièrement libre ,et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne .Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion , sans obstacle ,et où je puisse véritablement dire ce que la nature a voulu .
"Seul et délaissé, je sentais venir le froid des premières glaces, et mon imagination tarissante ne peuplait plus ma solitude d’êtres formés selon mon coeur. Je me disais en soupirant : qu’ai-je fait ici-bas ? J’étais fait pour vivre, et je meurs sans avoir vécu. Au moins ce n’a pas été ma faute, et je porterai à l’auteur de mon être, sinon l’offrande des bonnes oeuvres qu’on ne m’a pas laissé faire, du moins un tribut de bonnes intentions frustrées, de sentiments sains mais rendus sans effet, et d’une patience à l’épreuve des mépris des hommes."
Mon imagination déjà moins vive ne s 'enflamme plus comme autrefois à la contemplation de l 'objet qui l 'anime , je m 'enivre moins du délire de la rêverie ; il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu 'elle produit .
La source du vrai bonheur est en nous, et il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouloir être heureux. (...)
Tout est dans un flux continuel sur la terre. Rien n'y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s'attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles.
L'adversité sans doute est un grand maître, mais il fait payer cher ses leçons, et souvent le profit qu'on en retire n'en vaut pas le prix qu'elles ont coûtées.
Tout est fini pour moi sur la terre. On ne peut plus m'y faire ni bien ni mal. Il ne me reste plus à espérer ni à craindre en ce monde et m'y voilà tranquille au fond de l'abîme, pauvre mortel infortuné, mais impassible comme Dieu même.
Une tuile qui tombe d’un toit peut nous blesser davantage mais ne nous navre pas tant qu’une pierre lancée à dessein par une main malveillante.
Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements mon âme erre et plane dans l'univers sur les ailes de l'imagination, dans des extases qui passent toute autre jouissance.