- [...] mais les étrangers sont rarement aussi étrangers qu'on le croit...
D'où vient que le désespoir aussitôt après la joie s'est jeté sur elle? Je n'avais jamais vu auparavant le désespoir, et pourtant je l'ai reconnu. C'était bien cela : un moment de lucidité, où l'on voit sa vie et le mal qu'on fait aux autres, tout leur malheur, mais il n'est plus possible d'y rien changer ; il est trop tard ; ou encore on n'était soi-même que l'instrument de la souffrance... On ne peut rien à tout cela...
Comment ne sait-on pas plus tôt qu’on est soi-même son meilleur, son plus cher compagnon? Pourquoi tant craindre la solitude qui n’est qu’un tête-à-tête avec ce seul compagnon véritable? Est-ce que sans lui toute la vie ne serait pas un désert?
Et le bonheur que les livres m'avaient donné, je voulais le rendre. J'avais été l'enfant qui lit en cachette de tous, et à présent, je voulais être moi-même ce livre chéri, cette vie des pages entre les mains d'un être anonyme, femme, enfant, compagnon que je retiendrais à moi quelques heures. Y a-t-il possession qui vaille celle-ci? Y a-t-il un silence plus amical, une entente plus parfaite?
- Souvent, disait ma mère, c'est au moment où l'on va toucher au désir de toute une existence que tout à coup il nous est ravi!
Est-ce que le monde n’était pas un enfant ? Est-ce que nous n’étions pas au matin ? Le livre se termine sur ces mots.
J'ai vu alors, non pas ce que je deviendrais plus tard, mais qu'il me fallait me mettre en route pour le devenir. Il me semblait que j'étais à la fois dans le grenier et, tout au loin, dans la solitude de l'avenir; et que de là-bas, si loin engagée, je me montrais à moi-même le chemin, je m'appelais et me disais: "Oui, viens, c'est par ici qu'il faut passer ...Ainsi, j'ai eu l'idée d'écrire. Quoi et pourquoi, je n'en savais rien. J'écrirais. C'était comme un amour soudain qui, d'un coup, enchaîne un cœur; c'était vraiment un fait aussi simple, aussi naïf que l'amour. N'ayant rien encore à dire... je voulais avoir quelque chose à dire.