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Citations sur Dans les ruines de la carte (5)

Revenons un instant à la quadruple image inaugurale : celle de la carte – craquelée chez Vermeer, envolée chez Pouchkine, dépliée chez Le Greco, éparpillée chez Borges. Nous vivons dans les ruines de la carte inutile. Nous vivons dans les ruines de la carte impossible. Nous vivons dans les ruines de toutes les cartes qui ont cru remplacer le monde et décalquer le réel. Nous vivons dans les ruines des mappemondes du XVIe siècle encombrées de lieux imaginaires. Nous vivons dans les ruines des utopies qui ont agité les esprits européens, de Thomas More à Eugène Cabet. Nous vivons dans les ruines de la grande carte totalitaire, orwellienne, du XXe siècle. Nous vivrons bientôt dans les ruines de l’Empire de la vidéosurveillance et de la géolocalisation. Et l’acte de création qui nous préoccupe – écrire ou dessiner – se situe quelque part dans ces déserts de l’Ou/est où gisent les lambeaux de l’impossible. Dans ce nulle-part, cet interstice, cette brèche, cette béance, ce vertige, cet entre-deux où se tutoient le réel et l’imaginaire, le rêve et la mémoire, l’ordinaire et le fabuleux, le proche et le lointain, l’intime et l’ultime. Non pas là où tout est possible – je ne suis pas de ceux qui croient que tout est possible en art, je ne crois pas que l’art soit le domaine de tous les possibles ni que le créateur soit une sorte de démiurge autonome – mais là où tout est improbable.
Improbable, à l’origine, ne signifie pas « ce qui a peu de chances de se produire » mais ce « que l’on ne peut prouver ». Rien ne se prouve en littérature, en peinture, dans le domaine de la création. Rien ne se démontre. Rien ne s’argumente. L’ordre ou plutôt le désordre – pour ne pas dire le chaos – qui règne est celui du hasard, du présage, de la coïncidence, de la découverte. Voyance rimbaldienne. Trouvaille surréaliste. Prémonition kafkaïenne. Hallucinations de Michaux. Prophéties d’Orwell ou de Huxley. Hérésie révolutionnaire prônée par Zamiatine.
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Car la Terre telle que la représentent nos cartes depuis l’époque de Vermeer n’est pas la Terre, n’est pas non plus un calque ou un miroir de la Terre, ni même une représentation fidèle de celle-ci. La carte topographique, la photographie aérienne ou satellite, qui livrent peu ou prou le même type d’informations et qui sont parfaitement superposables, ces cartes conformes et vraisemblables ne contiennent pas tout le réel, ne décalquent pas le réel – nous permettent à peine de l’approcher. Il faudrait utiliser des cartes thématiques, des cartes par anamorphose, des cartes décentrées, des cartes discontinues, des cartes inachevées, des cartes en réseau, des cartes archipélagiques, des cartes livrées sous forme de puzzle en vrac qui tiendraient compte d’autres métriques que celles auxquelles nous sommes habitués depuis le XVIIe siècle. Il nous faudrait des cartes où les distances seraient exprimées en temps, en coût, en valeurs, en nuances, en degrés d’ombre et de lumière, en potentialités d’émerveillement ou de dépaysement ; des cartes feuilletées où se verraient mieux les menus accidents, les petites catastrophes, la ruine qui nous menace, les strates et les stries de l’espace-temps, tout le chaos des mondes possibles ; il nous faudrait des atlas fractals. Ces atlas fractals existent. Ce sont les livres, que certains croient menacés de disparition. Ce sont les poèmes et les romans, qui n’ont pas attendu l’invention du papier pour exister et qui subsisteront sous d’autres formes que du papier. Ce sont aussi les dessins, les peintures, les partitions, les films, les vidéos.
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Pourquoi sommes-nous tant fascinés par les atlas, les planisphères, les mappemondes, les portulans, les cartes routières ? Pourquoi sommes-nous tant fascinés par toutes les cartes, qu’elles soient plus ou moins fidèles, plus ou moins précises, plus ou moins fabuleuses ? Et si la carte, espace immense et minuscule, empire des signes et des sens où se rejoignent l’ici et le lointain, le rêve et l’aventure, le visible et l’invisible, l’écriture et le dessin, était la matrice du désir d’écrire et de peindre – la matrice du désir de créer, ou pour reprendre l’image de Pouchkine, le cerf-volant de l’invention ?
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L’Art de la peinture selon Vermeer serait donc riche d’un quadruple enseignement. Méditation sur l’inachevé, l’infini, le décentrement, le discontinu, ce serait l’art d’une époque inquiète. La Terre explorée et cartographiée s’avère alors un archipel, une Terre-archipel et cette Terre qui tourne peut-être autour du soleil, ne serait plus le centre de l’Univers. Époque post-copernicienne et post-galiléenne, époque de Descartes et de Pascal, époque de Kepler, de Newton et de Spinoza, époque où tous les savants s’interrogent sur les lois de réfraction de la lumière, sur les aberrations de la lumière, comme on disait alors. Or la question de la réfraction de la lumière – question qui fascinait sans doute Vermeer et qui fascine en retour celui qui regarde aujourd’hui ses tableaux -, cette question est inextricablement liée dès l’origine à la question de la triangulation, à la détermination des longitudes, à la recherche d’un point fixe, insituable, où le temps serait aboli.
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À l’origine de ce livre, il y aurait une double fascination enfantine et le besoin d’un double retour critique. Retour critique sur la pratique de la géographie, retour critique sur la pratique de la littérature. Fascination d’enfant pour les cartes, les atlas, les planisphères, les mappemondes. Fascination d’enfant pour les œuvres d’art, des mosaïques antiques aux installations contemporaines, qui rappellent les cartes, dans leur agencement, dans la lecture infinie et instantanée qu’elles permettent. Fascination pour les livres – et parmi ces livres, pour ceux, peu importent les genres, qui dessinent en vers ou en prose une cartographie poétique, intellectuelle – et témoignent d’une géographie intime.
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