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EAN : 9782234089990
400 pages
Stock (19/08/2020)
2.98/5   41 notes
Résumé :
Il était une fois. Comme dans tous les grands romans, c’est-à-dire qui sollicitent notre part d’enfance, cela commence par : « Il y avait autrefois dans la salle à manger des grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n’ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé. »
Le revoilà, Samuel Vidouble, le narrateur, coincé dans une maison, poussiéreuse mais encore hantée par les fantômes d’une famille provinciale, calviniste, « sans histoires, sans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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"Ce qu'il y a de plus terrifiant avec les objets, c'est qu'ils nous trahissent et nous survivent"
"Ca me turlupine depuis longtemps : on se transmet des objets qui ont une durée de vie plus longue que la nôtre. On a l'habitude de penser qu'ils nous évoquent des souvenirs. Pour moi, ils nous rappellent juste que nous sommes mortels." Emmanuel Ruben. Exécuteur testamentaire de Julien Gracq.

Vous pensez bien que si je réagis à cela, c'est sur les deux plans, à la fois personnel et général. Comme disait Tolstoï, un objet parce qu'il est objet ne peut pas nous trahir à proprement parler, je présume que Ruben parle de ses objets, qu'ils seraient marchands ou de famille. Enfin voyons, un objet de ce point de vue n'existe que par l'intérêt qu'on lui porte. "On a l'habitude de penser qu'ils nous évoquent des souvenirs". Ben oui, je l'imagine si bien que je vais au dela de sa pensée, je veux tout garder de mon univers personnel qui m'accompagne donc : c'est chez moi, j'ai un sentiment de possession inaccoutumé, à cela rien d'extraordinaire, je ne me soucie aucunement de savoir s'ils ont une valeur au delà de mes propres yeux ; je ne vais jamais chez Kiloutou ou amazone tous les quatre matins pour vendre ma trotinette ou mon fauteuil paille d'enfant. Mes objets c'est moi, voilà tout, c'est simple cela, sinon je serais moine. Il est bien clair ici que mes objets sont ma vie propre. Déjà pour ce qui nous concerne, le livre, je n'aime pas le livre des autres : je n'emprunte jamais et je n'en prête plus du tout parce que la plupart du temps les gens les gardent et cela m'est pénible ! J'ai même longtemps préféré le neuf, car j'aime bien quand ils ont leur parfum de neuf, que c'est moi qui suis le premier à l'ouvrir et à le malaxer comme "je me souviens" de mes livres d'écolier .." Et si des livres prennent le chemin de la cave, alors c'est très mauvais signe pour eux, il me semble qu'ils ne sont plus rien !..

Bon d'abord dans ma jeunesse, j'ai jeté mon dévolu sur des objets dont heureusement certains ont survécu et sont près de moi, parce que je suis matérialiste. J'ai quelqu'un de ma famille par exemple qui n'en a rien à secouer des objets, en particulier ceux des autres pour commencer quand on en fait soi-même les frais !

Moi je me les suis appropriés sans tarder, ils n'étaient pas à moi mais juriquement seulement. Donc de ceux-là et c'est mon regret, la plupart de ceux que j'aimais, le temps pour trente-six raisons me les a détournés de leur destination, comme un vol. Si j'avais su, je les aurais confisqués tout de suite, et pourtant il n'y avait pas de doute qu'ils me reviendraient un jour. mais penser que notre famille a toujours cela en tête, et puis il y a des tiers qui arrivent dans le paysage qui ne l'entendent pas de cette oreille et ne sont pas censés avoir à l'esprit que tels objets en particulier ont une hypothèque (affective) sur eux.

Je ne sais pas si je reste jeune dans ma fidélité aux objets, mais j'ai l'impression moins jeune qu'il en sera toujours ainsi !

Maintenant qu'est-ce qu'on croit des objets, qu'ils sont animés, qu'on peut les personnifier ? Ils ne prennent de valeur qu'à nos yeux bien souvent.

C'est le grand peintre Morandi qui donnait une seconde chance aux objets : il récupérait un tas d'ustensiles désuets, livrés bien souvent au rebus. Bon chez lui ce n'était pas non plus la caverne d'Ali Baba, d'ailleurs il prisait plus certains objets que d'autres que l'on voit reproduits dans ses toiles, il les faisait vivre carrément, leur donnait une autre tonalité, un autre rang dans l'ordre de ses songes. de manière évolutive et exhaustive. Les objets lui permettaient d'accéder au beau, un véhicule de transport vers l'absolu. Ils étaient certes beaux en soi, mais qu'en a-t-il fait ? C'est génial.

Moi, ils ne me rappellent pas du tout que nous sommes mortels. A part sur le terrain marchand en vogue où là il est sûr qu'ils vont passer entre d'autres mains sans état d'âme aucun. Je regrette juste ceux que j'ai perdus et que ça échappe à toute volonté en fait. Ils sont probablement morts ailleurs, personne ne les regarde, voire cassés, détruits, jugés encombrants comme des vieux cartons ou des bouteilles vides. J'ai bien sûr de l'amertume de ne pas les voir, de ne plus les voir, et là aussi le temps fait son effet, car certains sont désormais frappés d'oubli total, et c'est certainement mieux ainsi. Et puis il ne faut pas exagérer la portée de leurs souvenirs, on n'est pas chaque jour en train de se lamenter sur la disparition de ces objets. Ca n'a rien à voir avec les bêtes, nos chers compagnons. Ou alors si, quand c'est un cadeau qu'on m'a fait, je pense à celle qui m'a offert Autant en emporte le vent de chez Gallimard et j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Ou alors aussi tout ce dont à quoi j'étais, je suis, attaché personnellement, les livres, ma bibliothèque, mes peintures, et puis bien sûr les photos de famille, une propriété dans mon pays natal. Et tout cela m'accompagnera jusqu'à la fin de mes jours, et je sais qu'après ils n'auront plus de maître, ils seront tôt ou tard, le plus tard possible evidemment, livrés à la mort. Qui d'autre que moi peut avoir le même intérêt à mes choses personnelles ? personne, même si je ferai en sorte qu'il y ait un héritier de confiance et estimable. Mais aller dire que les objets nous trahissent et nous survivent, c'est un pure vue de l'esprit. Je ne m'accorde juste qu'une chance, celle que je ne dévalue pas trop après ma mort, en tout cas pas tout de suite. Basta !

Les souvenirs ben oui : les objets ont même une âme, mais c'est la nôtre qui se projète sur eux
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Quelle facette du nouveau livre d'Emmanuel Ruben mettre en avant. Sabre est un roman multiforme et protéiforme.
Comme dans son précédent roman Sur la route du Danube , Emmanuel Ruben prend prétexte d'un objet pour nous faire voyager dans le monde, la géographie,  l'histoire mais aussi la littérature  .
L'objet de Sur la route du Danube était  le vélo et le Danube. Objet qui nous a permis  tout en remontant le Danube de réfléchir à  l'histoire des Balkans, de la MittelEuropa  ou encore de ka place des migrants dans nos sociétés.  Emmanuel Ruben était  lui même  sur le vélo.

Pour Sabre il a pris son double littéraire,  Samuel Vidouble( !! ) pour nous raconter l'histoire d'un sabre familial jadis accroché  dans la maison familiale et alpestre des grands parents.
Cette recherche du sabre et de son histoire est le prétexte  à la mise en perspective de ce roman multiforme.
Emmanuel Ruben nous entraîne dans une saga familiale truffée de secrets, de non dits.
Cette saga familiale  qui déclenchera grâce à une imagination débordante, une histoire vraie-fausse ou rêvée  de Victor Vidouble de Saint Pesant. C'est drôle et enlevé.
Si ce n'était que cela, le roman serait déjà réussi . Mais il est plus .
Sous les traits de Samuel Vidouble,  Emmanuel Ruben nous parle de lui. de ce prof d'histoire géographie confronté aux mondes d'aujourd'hui mais aussi à sa jeunesse iséroise  et à cette famille originaire des montagnes alpines et d'un monde rural entrain de disparaitre.
La recherche du sabre l'a conduit dans les pas violents de la Révolution, des champs de bataille de l'Empire. C'est violent,  sanguinolant et les victoires sont souvent des défaites.
On croisera Bernadotte, Bonaparte, De Gaulle. On voyagera à Dieppe, Moscou, Alger ou encore  Berlin.
Il sera difficile de dénouer le vrai de la fiction mais est ce important  ?
On s'aperçoit  que les chimères et les réalités de l'histoire disent une grande part de la réalité de notre époque.
" Et, tandis qu'ils obtempéreront sans broncher, tu saisiras  sur le bureau la grande équerre jaune des profs de maths, histoire de te donner une contenance,  mais, croisant le regard de Salie au premier rang, tu reposeras l'éq'uerre aussitôt,  penseras une dernière fois à cet enfant seul le soir, dans la salle à manger de ses grands parents, les yeux rivés  vers ce sabre fêlé,  ce bijou de famille qui le croisait, pointait les ténèbres  et lui indiquait, telle l'aiguille d'une  boussole intime, la source infinie du péril "

Un livre remarquable alliant histoire, réflexion  mais aussi drôlerie et imagination.



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SabreEmmanuel Ruben publié chez Stock.
Attirée par la première phrase:« Il y avait autrefois dans la salle à manger des grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n'ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé» je me suis plongée dans ce roman. Samuel de tout gosse a été fasciné par le sabre accroché au dessus du poêle. Il a écouté béat les aventures de V.V R.L l' aïeul vénéré Victor Virouble Roi des Lives.narrées par les anciens. Alors lorsqu'après les obsèques de son grand-père il constate la disparition du sabre son monde s'effondre... ou presque!
Comment reconstituer l'histoire familiale sans lui? Où le chercher? Au près de qui obtenir des informations? Et puis l'idée lumineuse surgit: " Les hommes d'hier n'étaient pas comme aujourd'hui traqués par toutes ces machines qui pourront retracer dans le futur chacun de nos mouvements, chacun de nos faits et gestes, ces machines où nos pensées, nos peurs, nos mensonges, nos erreurs seront gravés pour l'éternité – alors, je crois qu'ils inventaient beaucoup, et le meilleur moyen de leur rendre hommage, je le sais désormais, ce sera d'inventer à mon tour" (p45).
Tout semblait sourire à la lectrice que je suis , une bonne histoire, un auteur à l'imagination foisonnante, une région que je connais mal... Malgré toute ma bonne volonté je n'ai pas adhéré à ce récit. le désintérêt suivi d'un profond ennui m'ont conduit bon an mal an à la fin de cette escapade en la bonne ville de D***.
Merci aux éditions Stock pour ce partage
#Sabre #NetGalleyFrance
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Le résumé de ce roman a fortement attiré mon attention lors d'une visite en librairie. Au premier abord, il semblait contenir tous les ingrédients pour voyager et pour passer un bon moment de lecture : un personnage contemporain qui se lance dans une enquête sur un sabre ayant disparu et qui va donc tenter de retracer l'histoire de ses ancêtres de de ce sabre. Nous voilà donc lancé dans un roman avec une composante historique, une composante aventure, une composante famille et un petit grain de folie par le biais d'une version de l'histoire d'un ancêtre faisant furieusement penser aux Aventures du Baron de Münchhausen. L'auteur se situe dans un style de roman que j'affectionne tout particulièrement et pourtant mon avis sur cette lecture est un peu mitigé.

Commençons par le positif, j'ai particulièrement apprécié le style d'écriture de l'auteur, j'ai aimé l'idée, cette enquête autour du sabre, et il y avait une alternance agréable entre éclairages historiques et histoires farfelues et inventées. J'ai trouvé l'ensemble très romanesque.

Alors pourquoi cet avis mitigé me direz-vous ? Deux raisons principalement, la première est que je me suis un peu perdu au milieu des différents personnages de la famille, ça m'a semblé un peu brouillon et le fait que chaque membre de la famille fournisse une version différente de l'histoire ne facilite pas les choses. Cela donne un ressort un peu comique au récit mais parfois je ne savais pas quel oncle parlait, qui faisait quoi, bref j'étais un peu perdu. La deuxième raison repose sur le fait que j'ai trouvé l'ensemble un peu déséquilibré et brouillon (et c'est finalement sûrement un peu lié à la première raison).

C'est vraiment un ressenti de lecture et c'est quand même un peu dommage car il y a une vraie qualité d'écriture, l'idée est là et on retrouve beaucoup d'éléments très intéressants mais l'ensemble manque de fluidité.

Bon, mon avis est mitigé mais cela reste tout de même une lecture intéressante, la construction un peu erratique perturbera sûrement plus d'un lecteur mais je pense que certains lecteurs y trouveront leur bonheur. J'ai donc un peu de mal à recommander ou non ce roman, en fait je dirai si vous êtes un amateur du genre aventure, historique, vous pouvez vous lancer dans la lecture et après ça passera ou ça cassera selon votre adhérence au style et à la construction. Si vous vous perdez un peu comme moi, allez quand même au bout de la lecture car il y a des éléments intéressants.

Au final, c'est donc un roman intéressant à lire, un mélange des styles entre enquête de famille, roman historique et roman d'aventure un peu fantaisiste, il y a de quoi faire dans ce roman. Dommage que l'ensemble ne soit pas un plus fluide et que l'on se perde un peu dans les différents personnages et dans cette construction un peu hachée, forcément le rythme du récit en prend aussi un petit coup. Un livre à essayer pour les amateurs du genre.
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Le grand-père du narrateur, Samuel, vient de mourir, et celui-ci s'aperçoit que sabre qui ornait un mur dans sa salle à manger a disparu. Mais où est-il passé ? Samuel mène l'enquête et son imagination se débride pour combler les manques.
L'auteur, Emmanuel/Samuel, nous livre alternativement souvenirs d'enfance et portraits de famille d'une part, et des généalogies familiales rêvées, fantasmées, sinon délirantes, chacun des membres de la famille ayant la sienne, d'autre part.
On fait connaissance avec des personnages pittoresques, dont l'ancêtre inventé (mais jusqu'à quel point?) Victor Vidouble de Saint-Pesant, nobliau de l'Île Crémieu (qui n'est pas une île !) en Dauphiné, désargenté mais habité de rêves chimériques, en vadrouille dans l'Est de l'Europe de la fin de la monarchie à la campagne de Russie de « l'Usurpateur ». Ces aventures seront un régal pour ceux qui aiment voyager dans le temps et dans l'espace.
J'ai trouvé encore plus d'intérêt aux détails auto-biographiques et aux portraits de famille, à ces personnages si différents décrits avec humour et tendresse, à la vie dans cette ville de D**, dont le nom n'est pas dévoilé, mais quelques indices permettent de l'identifier si le lecteur veut s'en donner la peine.
Le style est vif, le roman jubilatoire, l'auteur a le sens de la formule, même s'il abuse un peu des énumérations et de l'anaphore, mais il s'agit là d'un détail.
Une belle découverte.
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critiques presse (4)
Bibliobs
27 janvier 2021
L’écrivain et directeur de la Maison Julien Gracq a été récompensé pour « Sabre », dans lequel un professeur d’histoire désabusé enquête sur un sabre familial qui le ramène jusqu’aux guerres napoléoniennes.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeMonde
13 octobre 2020
Dans une quête à la fois historique et romanesque, Samuel Vidouble, le narrateur de « Sabre », explore les légendes du folklore familial. Un bel hymne à l'imaginaire.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Liberation
21 septembre 2020
[Emmanuel Ruben] surprend à nouveau en cette rentrée littéraire avec un vrai roman picaresque qui nous entraîne, via un sabre surgi de l’enfance, sur les champs de bataille de contrées imaginaires mais aussi bien réelles, jusqu’aux guerres napoléoniennes au côté d’un narrateur qui se veut son double et qui, d’ailleurs, se nomme Vidouble.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeSoir
24 août 2020
Dans « Sabre », le double de l’écrivain Emmanuel Ruben retrace ou réinvente le destin glorieux d’un ancêtre ambitieux.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Hier encore, j’ai rêvé que je maniais un sabre, en courant à reculons, dans la nuit. C’est un rêve fugitif qui me hante depuis des années, qui revient tous les mois, dont je ne vois jamais la fin. Je ne vois jamais le visage de l’ennemi contre lequel je me bats, j’ignore s’il s’agit d’une bataille ou d’un duel – parfois, je vois tomber d’un arbre des feuilles mortes, je tente en vain de les trancher, mais mon geste n’est jamais assez rapide et je ne fais que tracer dans l’obscurité les cicatrices d’une signature incertaine. J’ai longtemps cherché à interpréter ce rêve, je l’ai raconté à des amis, des médecins, des psychanalystes. Et puis un jour j’ai compris l’origine de mes hantises et toute cette histoire m’est revenue en mémoire.
Il y avait autrefois, dans la salle à manger des grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n’ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé. Des soirées entières, je m’étais contenté de le décrocher du regard, de le brandir en rêve, jusqu’au jour où j’ai cherché des yeux le reflet de sa lame et constaté sa disparition. Suspendu jadis au-dessus d’un vieux poêle en fonte, le sabre veillait sur nos repas, veillait sur nos soirées. L’entouraient, à droite, une copie naïve de L’Angélus de Millet, à gauche, la photo agrandie d’une falaise effrayante – le Pan Ferré – qui surplombe la ville, masque le soleil, barre l’horizon et menace de s’effondrer à la moindre secousse sismique. L’Angélus et le poêle en fonte sont restés fidèles au poste. La falaise aussi, quoique un peu bancale sous son verre, apparaît dans l’encadrement de la porte dès que l’on se dirige vers la salle à manger. Sous cette falaise se trouverait une grotte surnommée la Belle Judith – on raconte qu’elle aurait servi de refuge aux camisards pendant les guerres de Religion, et durant la dernière guerre mondiale, aux maquisards.
Selon la saison, l’heure ou le point d’observation, certains voient dans cette falaise la tête encastrée d’un cachalot, l’échine perchée d’un stégosaure ou le visage bouffi du dernier Napoléon rapetissant sous son bicorne – le Napoléon ventru, boudeur, ténébreux, assailli de mélancolie qui se laisse embarquer pour Sainte-Hélène à bord du Northumberland et dicte bientôt à Las Cases ses mémoires. Je n’ai jamais vu le visage de Napoléon dans cette falaise. Ni le gros bicorne noir. Ni la tête de cachalot. Ni l’échine de stégosaure. Mais son nom de Pan Ferré, encore lisible aujourd’hui sur les cartes, m’a toujours porté à rêver. Que suggérait ce pan ? L’idée d’un bouc ailé, d’une bête sacrée, d’une sorte de divinité gauloise, pétrifiée par quelque sort énigmatique ? Et pourquoi ferré ? À cause de l’éclat glacé de tout ce calcaire jurassique, qui le hissait à plus de 2 000 m d’altitude ? À cause de la nudité étincelante, au soleil, de son sommet ? À cause des neiges, des nuages, des glaces ou des éclairs que magnétisait cette cime perchée dans le ciel comme un immense aimant tellurique ?
De la copie naïve de L’Angélus, ce tableau morbide et glaçant qui glorifiait la vieille éthique protestante du travail, je revois les sombres couleurs pastel, le trident d’une fourche plantée dans les entrailles de la terre, son manche dressé vers le ciel, la roue d’une brouette, un panier d’osier rempli de patates, les gros sabots de bois, les mains jointes, les visages recueillis, le chapeau bas, les sillons de la terre labourée, les meules de foin, le petit clocher perdu dans les lointains, les nuées de corbeaux dans le ciel, l’atmosphère d’attente et de piété triste et paysanne – j’ignore pourquoi, j’ai toujours cru que cette peinture crépusculaire ne célébrait pas le début ou la fin d’une journée, ni l’annonciation de l’enfant Jésus ou le Saint-Esprit mais la fin d’une vie, la fin d’une ère, la fin d’un monde, un enterrement.
À la place du sabre, on peut apercevoir aujourd’hui, sur le mur jauni de la salle à manger, la trace plus pâle des deux crochets qui le soutenaient naguère. Où était-il passé, ce sabre ?
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J’ai donc l’œil rivé sur cette main. C’est une grande poigne rêche et déformée par le maniement des outils, le travail de la terre, le gel, le contact de l’eau vive, une grande poigne comme je n’en aurai jamais, une grande poigne que je n’ai jamais serrée, qui n’a jamais fait que m’effleurer, la caresse n’était pas son genre, disait Suzette, mais qui devait agir comme un étau lorsqu’il serrait la main des villageois au marché ou celle de ses coreligionnaires sur le perron du temple. Et je me dis alors que ce sont tous les linéaments d’une vie qui pourraient se lire dans les phalanges fissurées par le froid tels de petits rochers, dans les ongles ébréchés, striés, terreux, noircis à vie par le brou de noix, au long des rides cisaillant la peau tannée par le soleil ou des veines saillantes couleur de marbre ou de glace, à travers la broussaille encore noire des derniers poils, à travers les écorchures de la veille et les cicatrices du siècle dernier, à travers toutes ces tavelures brunes ayant pullulé dans les dernières années comme du lichen – oui, tous les linéaments d’une vie passée à remuer la terre, à décortiquer des noix, plumer des poulets, décapiter des canards, dépiauter des lapins, tailler des haies, chercher des sources, entretenir des écluses, des levées, des rigoles, des roubines, des canaux de drainage et d’irrigation.
Si je demandais quel était le métier de l’homme que j’avais toujours connu à la retraite, passant ses journées sur sa Mobylette bleu Vosges ou derrière sa brouette, dans son potager du Perré, on me disait : il travaillait aux eaux, manière de taire qu’il n’était qu’un ouvrier municipal, d’abord éboueur ou balayeur de rues, exerçant plus tard ce métier énigmatique qui faisait de lui une sorte de sourcier, de devin, de magicien.
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Les classes préparatoires sont conçues pour forger de bons petits soldats. Nous étions de braves soldats bien élevés, prêts pour faire la guerre, prêts pour perpétuer jusqu'à la fin des temps l'ordre ancien ; on nous rabâchait tous les jours que nous étions l'élite, les meilleurs, la fine fleur de la jeunesse estudiantine mais on ne manquait pas non plus de petites brimades pour nous humilier, d'où cette rage d'en découdre qui nous habitait : les notes de latin négatives, les cours d'histoire trop longs et truffés de notes de bas de page sans intérêt, les devoirs de philosophie sadiques et infaisable, les listes de proverbes anglais surannés, les commentaires de carte rébarbatifs, les annotations assassines, sibyllines ou portées au gros feutre rouge, des pages entières parfois sabrées d'un trait rageur signifiant que nous étions des crétins, des crevards, des bons à rien. Des handicapés de la vie.
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Oui, une seule chose était certaine : Auguste Vidouble n’avait jamais brandi ce sabre au front. Avant que la grande lame de la faucheuse ne l’emporte à son tour, les seules lames qu’il avait brandies, c’étaient celles des faux et des faucilles, des couteaux, des haches et des sécateurs. Placé comme ouvrier agricole dès l’âge de quatorze ans, il mania quantité d’outils jusqu’à la veille de sa mort, faucha manuellement l’herbe de son potager, n’opta jamais pour la traditionnelle tondeuse à gazon ou pour ces petits tracteurs que s’offraient ses voisins, qui sautillent sur la moindre motte, disait-il, et vous donnent l’air de faire du rodéo ou d’avoir transformé votre pré carré en Paris-Dakar. Pas assez de terre, disait-il, juste un lopin de rien du tout, alors, une tondeuse à gazon qui coûte la peau des fesses, à quoi bon ? Mais je crois surtout qu’il aimait ce geste antique et chorégraphique, de faucher le foin et les mauvaises herbes, et dans les dernières années de sa vie, en revenant de la rivière, on pouvait l’apercevoir de loin – petite silhouette engoncée dans le bleu de sa salopette, petite silhouette arc-boutée sur sa faux, petite silhouette qui se balançait derrière la haie de trembles.
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J’inventerai, donc : on invente toujours en racontant, et il faut imaginer beaucoup, mentir énormément, pour qu’elle nous revienne, la prétendue, la sacro-sainte vérité. J’ai dit que nombre de légendes circulaient en ce temps-là. Mais il y avait des choses dont on ne parlait pas. Jamais. Des tabous. Et je savais qu’il me serait difficile d’évoquer la disparition du sabre depuis la mort du grand-père. Comme si le sabre faisait partie de cet héritage dont on ne parlait pas, de ce pognon dont on ne parlait pas, de tous ces secrets de famille, ces testaments sibyllins, ces trésors cachés et ces vieilles convoitises, ces mésalliances et ces amours adolescentes, ces maisons perdues, ces sources taries, ces cabanes abandonnées aux ronces et aux orties – comme si évoquer le sabre c’était évoquer le défunt, profaner son souvenir, exhumer sa dépouille. Alors que la mort en général, les sépultures, la maladie, étaient les sujets de prédilection des conversations, en ville, parler de ses morts ne se faisait pas.
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Vidéo de Emmanuel Ruben
Quand les livres nous parlent de la Russie et de l'Ukraine, entre guerre et paix : Giuliano da Empoli, qui publie "Le Mage du Kremlin", et Emmanuel Ruben, qui co-dirige le livre collectif "Hommage à l'Ukraine", sont les invités d'Olivia Gesbert.
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