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Critique de boudicca


En ce début d'année 2019, l'actualité est chargée pour François Ruffin ! Après l'annonce de la sortie de son nouveau documentaire intitulé « J'veux du soleil » et consacré aux Gilets jaunes (vu et avant-première, à voir absolument !), le député de la Somme sort en parallèle un livre surprise consacré cette fois au président. Une sorte de biographie non officielle de Macron, dont Ruffin oppose le parcours au sien. Ce n'est aujourd'hui un secret pour personne, bien que les deux hommes se connaissent depuis peu, le hasard fait qu'ils ont grandi dans la même ville (Amiens) et ont fait leurs études dans le même lycée privé (la Providence) à peu près au même moment (il s'agissait en fait d'un camarade de classe de sa soeur aînée).

Les similitudes s'arrêtent toutefois là : Ruffin opte rapidement pour une carrière de reporter en Picardie et se met au service de tous « ces gens qu'on ne voit pas » : les intérimaires, les aides-soignants/aides-soignantes, les chômeurs/chômeuses, les ouvriers/ouvrières… du journalisme (il créé son journal « Fakir » en 1999 et écrit pour le Monde diplomatique ou encore Acrimed), il passe à l'écriture (« Les Petits Soldats du journalisme », « Leur grande trouille »…), puis au cinéma (avec son documentaire consacré à Bernard Arnoult : « Merci patron ! »), puis à la politique, avec son élection en 2017 en tant que député de la première circonscription de la Somme. Si la méthode change, l'objectif reste toutefois le même : donner de la visibilité à cette « France d'en-bas », celle qu'on ne voit ni à la télévision, ni dans les journaux, et encore mois dans les institutions : « 88 % des personnes montrées dans les sujets d'information appartiennent au CSP+. La même chose qu'à l'Assemblée : les ouvriers-employés comptent pour 2,7 % des députés. Quand les diplômés – médecins, avocats, DRH, consultants, enseignants, journalistes… - trustent les sièges. Et ce Parlement se prétend « représentation nationale » ! Étrange démocratie où la majorité est invisible. ». Avec beaucoup d'humilité et de lucidité, Ruffin nous parle de son travail, de son long combat sur le terrain auprès des travailleurs en passe d'être licenciés, des précaires, des oubliés, bref, de « ceux qui ne sont rien ». Il nous parle aussi de ses prises de consciences depuis son accession au statut de député, de la quasi-absence de contre-pouvoir (« Je ne veux plus de président, tout court, plus de président-soleil, astre autour duquel la vie tourne, avec sa cour et ses députés-toutous, président qui concentre en lui (presque) tous les pouvoirs, plus intelligent que soixante millions d'habitants, et qui se prend tantôt pour « la figure du roi absent », tantôt pour « quelque chose de napoléonien », le président-despote, comme Montesquieu définissait le despotisme : ce régime « où un seul entraîne tout par sa volonté et par ses caprices »), à la parodie de débat et de démocratie qu'offre cette Assemblée qui vote au pas et à des cadences infernales (« Avec les missions et les commissions, les projets de lois, dont vous nous gavez, à nous faire siéger du lundi au dimanche, sept jours sur sept, et des sessions extraordinaires l'été, tous les jours et parfois la nuit, à faire passer le glyphosate à 2 heures du matin. Quel temps me reste-t-il pour les gens ? Pour respirer ? Pour lire ? Pour écrire ? Pour penser ? »).

Le véritable sujet du livre de Ruffin n'est toutefois pas lui-même, mais sa Némésis : Emmanuel Macron. Macron dont il retrace lui aussi le parcours, en s'appuyant sur les biographies officielles, les interviews, les articles de presse. Un parcours en totale opposition avec le sien, celui d'un homme charismatique qui n'a pas son pareil pour séduire ses interlocuteurs, et qui a toujours gravité dans le même cercle : celui de l'argent et du pouvoir. Les « gens qui ne sont rien », Macron ne les côtoie pas, il ne les connaît pas. Non, son entourage à lui, c'est plutôt « les premiers de cordés » : des milliardaires, des énarques, des banquiers d'affaires et des patrons de grandes entreprises ou de grands médias. Autant de gens qui auront, chacun leur tour, un rôle déterminant dans la carrière de cet homme qui prétend (avec un aplomb formidable) qu'il s'est « construit tout seul ». Tout seul, mais avec l'aide tout de même de ses « amis » du Medef, d'Henry Hermand (c'est lui qui réglera le mariage des Macron au Touquet et qui signera au couple un chèque de 550 000 euros pour l'achat de leur appartement à Paris), de Jean-Pierre Jouyet (ancien secrétaire d'état sous Sarkozy, ancien banquier, ancien inspecteur général des finances qui l'introduira dans l'équipe de campagne de François Hollande), de Xavier Niel (PDG de Free qui court sur toutes les antennes vanter les qualités de ce « super président »), de Bernard Arnault (patron de LVMH et première fortune française avec qui Macron déjeune régulièrement), et puis de Patrick Drahi, de Bolloré, de Lagardère… Bref, le gratin ! C'est édifiant, c'est révoltant, et le pire, c'est l'arrogance, c'est l'hypocrisie qui permet à cet homme qui prétend « s'être fait tout seul » de sortir qu'un chômeur ne doit pas « tout attendre de l'autre » ou que la vie politique doit être moralisée : « Dès votre élection, vous avez promu une « loi de moralisation de la vie publique » Vous ! Vous qui incarnez la corruption d'un système pourri, mité, d'une démocratie décrépite, digérée par l'oligarchie, si sûre de sa force qu'elle installe son banquier à l'Élysée ! Vous, avec votre entourage, qui n'est fait que de ça, de conflits d'intérêts, de stock-options, de conseils d'administration, de collusion avec les firmes privées ! Et « moralisation » ! Vous osez tout ! ».

Avec « Ce pays que tu ne connais pas », François Ruffin signe une tribune à charge contre Macron dont il démystifie brillamment l'image qui nous est vendue depuis des années sur les papiers glacés des magasines et dans les reportages complaisants. D'un petit génie ayant accédé aux plus hautes fonctions de l'état à force de travail et de détermination tout en se prétendant de gauche (« mais la gauche, ça se mérite ! »), Macron est ravalé au rang d'intellectuel raté, charismatique, oui, mais dont le seul mérite réside dans le fait d'avoir bien su s'entourer de gens puissants qui l'ont porté jusqu'au sommet de l'état. Un sommet en haut duquel les Marie, les Peggy, les Zoubir, bref, les gens ordinaires qui constituent la majeure partie de la population française, n'existent tout simplement pas.
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