"Ce n'était qu'une question de temps" dit mon père, avec toutes les marques extérieures du plaisir ; mais en ce qui me concerne, le temps a toujours été quelque chose d'instable, sur lequel on ne pouvait pas compter.
Le monde est plein d'histoires d'amour et, en un sens, tous les amants sont des avatars de leurs prédécesseurs.
La plupart des choses qui ont de l'importance dans notre vie se passent en notre absence...
Je leur dis : "C'est la vérité. La vérité de la mémoire, parce qu'elle est particulière. La mémoire sélectionne, élimine, modifie, exagère, minimise, glorifie et dénigre aussi ; mais à la fin elle crée sa propre réalité, sa vision des événements, hétérogène, mais généralement cohérente ; et aucun être humain sain d'esprit ne fera plus confiance à la version d'un autre qu'à la sienne."
Il semble qu'en cette fin d'année, mon grand-père, le docteur Aadam Aziz, ait contracté une forme très dangereuse d'optimisme... Il n'était pas du tout le seul, parce qu'en dépit des efforts acharnés des autorités qui voulaient étouffer la virulente épidémie, elle s'était répandue dans tout l'Inde cette année -là, et des choses irrémédiables allaient être commises avant qu'on reprenne la situation en main...
.. L'épidémie d'optimisme avait été causée par un seul homme, dont le nom, Mian Abdullah, n'était utilisé que par les journalistes. Pour tous les autres, il était le Bourdon, une créature impossible à imaginer si elle n'avait pas existé.. Le Bourdon était le fondateur, le président, l'unificateur et l'animateur du Rassemblement islamique libre...
.. Ce fut la fin de l'épidémie d'optimisme. Le matin, une balayeuse entra dans le bureau du Rassemblement islamique libre et découvrit le Bourdon, réduit au silence, sur le plancher, entouré d'empreintes et de pattes de chiens et des restes de ses meurtriers. Elle hurla: mais , plus tard, quand les autorités furent venues et reparties, on lui dit de nettoyer la pièce. après avoir enlevé les innombrables poils de chien, avoir écrasé des milliers de mouches et avoir retiré du tapis les morceaux d'un oeil de verre éclaté, elle alla se plaindre auprès de l'administrateur de l'université de ce qu'on lui donne de telle tâches et que, si ce genre de choses devait se reproduire, elle mériterait une petite augmentation. Ce fut sans aucun doute la dernière victime du microbe de l'optimisme et, pour ce qui la concernait, la maladie ne dura pas longtemps parce que l'administrateur qui était un homme très dur, la flanqua à la porte.
[...] Sa voix craquait comme un vieux poste de radio parce que les décennies se frottaient les unes aux autres près de ses cordes vocales [...].
p.67
Les prophètes ne sont pas toujours dans l'erreur simplement parce qu'ils sont pris de vitesse et avalés par l'histoire. Des hommes de valeur ont toujours erré dans le désert.
Les enfants de minuit étaient aussi les enfants du temps: engendrés, comprenez-vous, par l'histoire. Cela peut arriver.En particulier dans un pays qui est lui-même une sorte de rêve.
Les enfants sont les vases dans lesquels les adultes déversent leur poison, et c'est ce poison qui fit de nous des adultes.
Pourquoi ai-je choisi de parler de la musculature de Padma: ces jours-ci, c'est à ces muscles, bien plus qu'à n'importe quoi ou qui que je raconte mon histoire. Parce que je file en avant à une vitesse de casse-cou; des erreurs sont possibles et des exagérations et de désagréables changements de ton; je fais la course avec les fissures, mais je reste conscient que des erreurs ont déjà été commises et que, alors que mon délabrement s'accélère ( j'ai du mal à garder ma vitesse d'écriture), le risque d'inexactitude augmente...dans ces conditions, j'apprends à utiliser les muscles de Padma comme guides. Quand elle en a assez, je peux détecter dans ses fibres les rides du désintérêt; quand elle n'est pas convaincue, elle a un tic à la joue. La danse de sa musculature m'aide à rester sur les rails ; parce que dans une autobiographie, comme dans la littérature, ce qui s'est réellement passé est moins important que ce que l'auteur réussit à faire croire à son auditoire...