- Il n'y a rien de plus beau que l'amour, tu sais.... L'amour et les livres.
Une des silhouettes aimante son regard. Lucia. Il la reconnaît. Elle est en train de s'étirer en prenant appui sur un banc. Fine et délicate comme une libellule. Toute gracile qu'elle est, elle dégage une solidité à toute épreuve. Comme si rien ne pouvait la faire plier ou avoir raison de sa volonté. Une petite salamandre qui peut traverser toutes les épreuves.
La mélancolie l’empoigne à la gorge. Qu’est-ce qu’il fout son père ? Pourquoi ne rentre-t-il pas ? Merde, pourquoi est-ce que c’est toujours à lui de s’inquiéter ? C’est pas à lui de conduire ce radeau en perdition sur lequel ils se sont embarqués tous les deux.
Il y a des moments dans la vie où on est capable de sauter, de tout dépasser pour risquer sa vie, c'est juste une question de circonstances.
Elle peut tout comprendre. Elle peut tout endurer. Tout pardonner. Ses racines puisent la sève si profondément que jamais son amour pour la vie ne fanera.
Le blockhaus émerge enfin. Une dent de béton plantée dans le sable, brute, épineuse, qui semble sécrétée par le passage des marées. Ce n'est plus un vestige de la guerre mais une partie intégrante du paysage. Le ciel devient violet. La nuit interminable agonise en s'effilochant. La mer est hostile, les vagues frappent au loin comme leur coeur qui lui aussi frappe frappe frappe, pompant l'angoisse à chaque pulsation. Ils vont pouvoir se reposer, reprendre leur souffle. Leur peur écumeuse ressemble au sable froid, à la mer glacée, à ce béton gris.
Il a soudain envie de lui raconter la rencontre avec les trois autres, de lui dire que dans ses veines il y a plus de peur que de sang, dans ses poumons plus d'angoisse que d'air et que lui parler maintenant, le réconforte.
La plage est grise. La mer, lointaine, dessinée au fusain. De loin elle semble pétrifiée, avec cette ligne d'écume horizontale qui n'éclate jamais. C'est étrange cette tranquillité, cette immobilité. A croire que le jour ne se lèvera jamais tout à fait. Que la ville ne se réveillera pas.
[…] il reconnaît tout de suite l'odeur du métro, celle dont il est impossible de séparer la graisse, le goudron, le caoutchouc, la poussière, l'humidité, la solitude, la foule, l'indifférence, tout ça mélangé, l'odeur de la ville qui prend aux narines, aux tripes, qui attrape sa mémoire. Les gens ne se parlent pas, se laissent transporter docilement, les visages multipliés se frôlent, il n'y a plus de frontières, les corps se touchent, entrent par grappes, s'écrasent dans un bruit d'habits froissés, le ressac les jette hors des rames, ils en sortent en grosses vagues épuisées.
Il n'avait pas tout lu, c'est sûr, mais quel secours attendre des livres ? Aucune lecture ne pourrait venir à son aide, lui dire quoi faire, les livres ne sont rien face aux malheurs de l'existence.