Je viens de terminer ce livre et je suis sonnée par la fin qui a de quoi heurter le lecteur mais aussi le faire réfléchir sur la force délétère des traumatismes infantiles.
Dans ce roman âpre, on peut distinguer deux parties.
Dans la première partie, l'auteur dresse le portrait d'Albane, une femme singulière, froide, psychorigide. Dans son travail comme dans sa vie personnelle de femme mariée et mère, elle planifie et organise tout au millimètre près. Dans cette vie cadenassée, il n'y a aucune place pour la fantaisie, l'imprévu ni surtout pour l'affectif, la chaleur humaine. Derrière l'apparence d'une épouse et infirmière « parfaite » se cache en réalité une femme étrangère aux autres et à elle même, incapable d'aimer. Pire de tout, elle est sans encore se l'avouer une mauvaise mère, surtout avec l'ainée de ses deux enfants, la petite Emma 6 ans seulement, si charmante et joyeuse pourtant. Cette première partie m'a vite captivée car le portrait de cette femme mystérieuse et détestable est vraiment saisissant, passionnant.
La deuxième partie du livre explore la mise à jour progressive du trauma qui est à l'origine de la personnalité d'Albane. le mari a enfin pris conscience que sa femme a un réel problème psychologique ; il réalise que celle-ci n'a pas une relation normale avec leur petite fille qu'elle est capable de délaisser ou maltraiter d'une façon inacceptable. Albane elle-même commence à vaciller et se poser des questions douloureuses sur elle-même et son rôle de mère.
Commence alors une psychothérapie avec un jeune psychiatre qui fera remonter à la surface, grâce à l'hypnose, le traumatisme si longtemps refoulé. Dans cette deuxième partie, bizarrement, le personnage du mari disparait peu à peu (où est-il ? comment réagit-il ?) et la vie professionnelle d'Albane pourtant centrale, n'est plus abordée ou presque. Tout est axé sur la seule introspection d'Albane et de sa psychothérapie, comme si le lien avec l'extérieur était rompu, ce qui m'a un peu gênée dans ma lecture.
«
Celle qui criait au loup » (fort beau titre qui incite à être attentif aux appels de tous ordres que lancent les enfants maltraités), est un livre bien écrit et vraiment prenant.
J'ai beaucoup aimé le portrait crédible de cette jeune femme froide et antipathique dont on devine très rapidement qu'elle est aussi une victime en grande souffrance (car l'auteur sème des indices qui éclairent le lecteur tandis que les autres n'ont jamais rien rien compris).
J'ai été moins convaincue par son entourage. le personnage du mari est vraiment trop beau, trop gentil, trop patient pour être vrai sans compter quelques tirades où son discours ampoulé est ridicule et invraisemblable. Ensuite, pour moi, la famille d'Albane manque aussi de cohérence. Je ne suis pas parvenue à cerner le lien qui rattache l'héroïne à sa famille tant maternelle que paternelle. le contexte familial m'a paru obscur, bancal, peu plausible, particulièrement les relations avec le père et la mère que j'ai trouvé discordantes, peu éclairantes. C'est un avis certes très personnel.
La fin du roman est éprouvante, bouleversante.
Delphine Saada remet en cause l'idée pourtant bien ancrée selon laquelle la révélation des traumatismes est libératrice, ce qui est intéressant mais dérangeant. A la fin du livre, dans de très beaux passages, la romancière met en lumière à quel point un traumatisme est susceptible de changer le cours d'une vie d'une façon implacable et irrémédiable. C'est ce qu'Albane comprend brutalement et qu'elle n'est pas en mesure de supporter ni partager. Et le traumatisme parental se transmet aussi aux enfants innocents, ce qui le rend plus délétère encore.
En conclusion, sur un sujet terrible et rebattu,
Delphine Saada a écrit un roman singulier, doté d'une indéniable puissance dramatique et psychologique. Et le personnage d'Albane, si seule jusqu'au bout, ne peut laisser indifférent le lecteur qui voudrait tant la sauver contre elle-même.