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Critique de berni_29


Une autrice en mal d'inspiration cherche désespérément le sujet de son prochain livre. Elle s'appelle Monica Sabolo et nous partage dans un long prologue son désarroi.

Tout est bon à saisir au passage dans cette recherche d'inspiration : l'achat d'une buse naturalisée, un appartement dévasté par les eaux, l'évocation d'un pigeon voyageur, comme tout ceci est beau déjà à la manière d'un continent englouti où il faut revenir à la surface.

Tout est bon à saisir, le sujet d'une famille par exemple... Lorsqu'on est en mal d'inspiration, quoi de mieux que d'aller convoquer la plus belle scène de tragédie qui soit au monde : j'ai nommé la famille ! Parfois cela peut donner aussi dans le tragi-comique. Chez Monica Sabolo, la famille ressemble à quelque chose qui tient de la vie clandestine, comme elle, comme sa mère, comme son père biologique et comme celui qui la reconnaîtra... Un lieu de ténèbres, un monde creusé de galeries, hanté par les secrets qui suintent sur les parois... C'est le monde d'où surgit Monica Sabolo et dans lequel elle nous invite à entrer.

Mais cela ne suffit pas pour en écrire un livre. À la faveur d'une émission de radio écoutée sur France Inter, - Affaires sensibles et l'indicible phrasé mélodramatique de Fabrice Drouelle, elle va avoir comme une révélation... L'Assassinat de Georges Besse en 1986 par Action Directe, un groupe révolutionnaire d'extrême gauche. Elle tient son sujet, elle peut avancer à présent, peut-être pas encore dans la lumière qu'il faut apprendre, réapprendre à apprivoiser, elle a encore quelques comptes à régler avec son passé, le passé familial.

« le livre que j'écris est une arme de destruction massive ».

Après, ce sera peut-être une autre histoire...

Le livre, - roman, enquête, autobiographie ? un peu tout cela sans doute, dans lequel nous entraîne avec fulgurance Monica Sabolo, est une plongée dans le récit d'un groupe terroriste des années 80.

Le 17 novembre 1986, le groupe abat froidement Georges Besse, P-DG de Renault, patron qu'on dit juste et respecté, père de famille, époux comblé. Ce n'est pas leur premier assassinat...

Ils sont jeunes et vont devenir les ennemis publics n°1, ce seront alors à cette époque parmi les personnes les plus recherchées par toutes les polices de France.

De cette période violente, sanglante et tragique dont je me souviens bien car j'avais vingt-quatre ans, Monica Sabolo va en faire une oeuvre romanesque, éblouissante, majestueuse.

Oui, je me rappelle leurs quatre visages qu'on voyait affichés un peu partout, à l'entrée des bureaux de poste, des mairies, de tous les lieux publics et même des grandes surfaces : Joëlle Aubron, Nathalie Ménigon, Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani. Impossible d'oublier ces noms.

La vie clandestine peut commencer, la sienne, celle des siens, celle des autres, celle de ces quatre fugitifs à la belle idéologie de justice et de fraternité au départ, qui vont devenir des assassins.

On ne sait pas où commence, où finit l'imaginaire de Monica Sabolo ? Quelle est la part de vérité dans tout cela ? Et la vérité des uns est-elle la vérité des autres ?

Elle est alors aspirée vers cette histoire et nous y entraîne comme dans une spirale vertigineuse et sidérante.

« le réel s'adresse-t-il toujours à une part secrète, inconnue de nous, qui nous mène exactement là où elle désire ? Serait-il possible que L Histoire ne parle en vérité que de nous-mêmes ? »

Je me souviens de cette époque où j'avais dix-huit ans. J'ai voté pour la première fois de ma vie en 1981, l'année du changement. On évoquait déjà les combats d'Action Directe. Je cherchais à me construire une opinion politique. Je n'ai jamais aimé la violence. Mais vouloir changer le monde, combattre les injustices sociales, chercher à prendre comme modèle quelqu'un comme Ghandi plutôt que Che Guevara, je trouvais que cela avait plus de sens, - l'a toujours, même si à l'époque les affiches du Che punaisées dans des chambres d'ados étaient davantage monnaie courante...
Le dessein d'Action Directe était aussi de vouloir changer le monde. Il pouvait être séduisant, épris de justice sociale, de solidarité, de fraternité... Mais voilà ! Ils ont choisi un itinéraire de violence et de sang que j'ai toujours désapprouvé. Monica Sabolo aussi, mais elle veut comprendre, aller plus loin.

« Cette histoire est bien trop complexe, je n'arrive à me faire d'opinion ni sur les êtres ni sur leurs actes. »

Très vite, on comprend l'objet de la trame narrative : osciller entre ces deux histoires, y dresser des passerelles, peut-être aussi des souterrains, c'est plus pratique pour opérer en clandestinité, Monica Sabolo contourne les pièges de l'exercice avec brio, ne pas rendre ces personnages plus sympathiques qu'ils ne le sont, pas moins non plus, ne pas en faire des figures romantiques. En faire des êtres humains, ce qu'ils sont, les restituer ainsi, puisqu'ils ont assumés leur peine...

« Ces personnages insaisissables, avec la douleur qui est la leur et celle qu'ils ont infligée. »

En faire des êtres solidaires, c'est clair, on ne pourra jamais leur reprocher cela durant leur procès. Ils feront la démonstration d'une loyauté sans faille entre eux, un papier à cigarette n'aurait pas pu passer entre eux... Jamais on ne saura par exemple qui a tué Georges Besse...

« Il y a là toute la superbe de l'honneur et de la fraternité, quelque chose d'insensé et de crépusculaire aussi, l'adieu à un monde auquel on a renoncé. »

Et comment ne pas se laisser au passage surprendre par quelques personnages étonnants comme cette octogénaire, libraire libertaire, sorte de Ma Dalton façon Mesnilmontant... Ce qui donne envie de la rencontrer, c'est sa manière claire et sans ambiguïté de s'être inscrite en faux contre la violence sanguinaire d'Action Directe, tout en sillonnant inlassablement la France en train durant plus de 20 ans pour rendre visite à ses membres au parloir des prisons...

Monica Sabolo veut savoir comment on vit avec cela, pendant et après...

Elle enquête alors à sa manière...

« La clandestinité n'est pas aussi romantique qu'on pourrait le croire : on imagine une vie trépidante, loin de la cité et des institutions, un lieu sauvage que l'on habiterait tel un bois, comme le font les amants, les druides et les poètes. En réalité, ce n'est pas l'expérience de la liberté mais celle de l'entrave. »

Monica Sabolo dévoile la vie clandestine de ces quatre jeunes gens. Elle creuse, elle creuse sous terre comme une fourmi frénétique, elle creuse des galeries vers son histoire familiale...

Dans une écriture en cavale, quasiment lyrique, éblouie de la lumière des mots, Monica Sabolo convoque les ténèbres pour nous entraîner dans les méandres d'une forme de désarroi profond, évoque dans ce chemin le poisseux, l'indicible et surtout peut-être l'inavouable...

Entre eux et elle, un lien se tisse ; la mémoire du passé surgit, dans son corps aussi.

C'est magnifique.

« Je cours après une histoire engloutie à la suite d'un tremblement de terre ou d'un raz-de-marée. »

La prose de Monica Sabolo est percutante, lumineuse, s'enroule comme des lianes et nous enroule avec elle aussi. J'ai adoré cette écriture qui m'a envoûté. C'est une écriture belle et cruelle, qui nous invite à fouiller dans nos vies familiales...

Ici l'intérêt du texte n'est pas à proprement dit cette enquête tirée d'une chronique judiciaire, - bien qu'elle tente d'effleurer l'insondable de ces âmes en cavale, non c'est bien un autre récit qui tient lieu de paysage, le désordre d'un coeur, celui de l'autrice où viennent se mêler des pas égarés dans l'entrelacement de deux histoires.

La mémoire est une porte secrète et fragile qui s'ouvre sur d'autres portes ténébreuses et violentes. C'est depuis cette rive d'où elle écrit cette histoire que Monica Sabolo nous tend la main.

« Nous nous débattons, tous autant que nous sommes. Nous cherchons un sens aux choses que nous avons faites , et à celles que l'on nous a faites, nous sommes entortillés dans le passé comme dans un drap mouillé. Les visages s'effacent, mais le chagrin demeure. Il irradie, il voyage, d'une génération à l'autre, d'un coeur à l'autre. L'histoire s'insinue en nous, elle se recompose, se déplace et se transforme, renvoyant des ondes et une énergie nouvelles, sans même que nous sachions à quoi elles font écho.
Je sais désormais que le temps ne passe pas. »

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour cette belle et surprenante découverte en avant-première de la rentrée littéraire, dans le cadre d'une Masse Critique privilégiée.
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