AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LouDeBergh


Il y a deux jours, il y avait un paquet dans ma boîte aux lettres.
En lettres rouges, juste au-dessus de mon adresse, un peu de biais, était apposé ce doux nom : Editions Gallimard.
C'était la première fois que je recevais un roman des mains d'un éditeur, dans le but d'en rédiger une critique sur mon blog. J'en ai ressenti une immense joie et en ai conçu une grande reconnaissance. Et même si je sais que nombreux sont les lecteurs qui régulièrement, reçoivent dans leur boîte aux lettres, les dernières parutions de leur maison d'édition favorite, je me suis trouvée incroyablement privilégiée de compter parmi eux.

Quel plaisir donc d'ouvrir ce merveilleux petit paquet, empli de promesses et de félicité ! Une petite fille, assise sous l'arbre de Noël, n'aurait pu éprouver plus grande de joie. Toute la journée, je trépignais, attendant que sonnent dix-neuf heures, pour entamer ma lecture.

Quelques heures plus tard, Eden était refermé. Avec lui, un paradis perdu et une histoire fascinante, racontée avec dextérité et force d'évocation.
Car lorsqu'un gang de filles vous entraine au coeur d'une réserve indienne, tout peut arriver ! Monica Sabolo nous livre un sixième roman absolument remarquable, sombre et mystérieux, que l'on dévore de bout en bout. Plusieurs fois au cours de ma lecture, les yeux brûlants, j'ai souhaité marquer une pause, mais jamais l'auteure ne m'en a laissé la possibilité. Elle m'a embarquée sans que j'y puisse rien dire. Et si j'avoue ne pas avoir manifesté de franche opposition, il est clair que cela relève d'un certain talent et d'un talent certain !

Dans une région reculée du monde, au coeur d'une réserve, à la lisière d'une forêt menacée de destruction, grandit Nita, qui rêve d'un ailleurs. Jusqu'au jour où elle croise Lucy, une jeune blanche venue de la ville. Solitaire, aimantant malgré elle les garçons, elle s'aventure dans les bois et y découvre des choses, des choses dangereuses…
Ca y est, le décor est planté ! On se trouve plongé au coeur d'une forêt, énigmatique, protectrice et menaçante tout à la fois, aux abords d'un lac turquoise attirant les touristes à la haute saison. Ballottés par les vagues des mots de Monica Sabolo, nous cheminons avec des adolescents coincés dans une réserve dans laquelle l'avenir semble tout tracé, nous nous enflammons pour un gang de filles un peu barrées et nous fascinons pour ces esprits qui, tout autour de nous, dansent.

Régulièrement dans cette forêt, les gens partis s'y aventurer disparaissent. Surtout les filles du coin. Elles n'en reviennent pas toujours, mais cela semble ne choquer personne. Tout bascule pourtant lorsque Lucy, jeune blanche de 15 ans, un peu bizarre, éthérée, s'évapore. Elle revient quelques jours plus tard, mutique, dévastée, violée.

Avec elle, c'est tout le monde de Nita, son amie, qui s'effondre. Au prisme de ses yeux d'adolescente un peu perdue, Monica Sabolo nous raconte une histoire captivante peuplée d'esprits et de fantômes des bois. A chaque virage, la réalité se joue de nous ; elle qui pourtant nous tenait fermement par la main, soudainement nous lâche pour nous laisser en proie à un monde invisible que nous commençons par ironiser avant d'y porter crédit.

Et c'est toute la force de son auteure : elle ne se contente pas de nous livrer un roman (certes très beau) sur l'adolescence. Elle se sert de cette période de la vie où rien n'est figé, où le désir de croire est plus puissant que tout, pour donner naissance à un récit aussi politique que poétique. Car ce n'est pas « juste » le viol d'une jeune fille et ses conséquences qui nous est narré, mais bien la mise en perspective de cet outrage avec celui qui est commis contre la forêt, celle de la réserve dans laquelle les personnages vivent, et celle qui peuple (encore un peu) nos esprit, cette forêt ancestrale et nourricière, inscrite encore quelque part au creux de nos gênes.
Le viol et la déforestation sont ainsi mis en regard en un superbe tour de force.
Derrière, se cache le même désir de puissance, de domestication de l'autre, de la femme, de la fille, des bois et de leurs esprits.

Monica Sabolo nous donne à voir un monde profondément injuste, abjecte, dans lequel des jeunes filles au sein desquelles est en train de pousser une forêt de sens, ne cessent de subir le désir de puissance masculin. Détruites, abîmées, elles errent dans un monde qui ne leur appartient plus, un monde de silences, de non-dits.
La réserve de vie qui les entoure subit les mêmes affronts, les tronçonneuses ne cessent leur macabre labeur, les bruits de l'exploitation forestière cachent peu à peu les cris des oiseaux et le crissement des branches sèches.

Seul le monde invisible, celui qui doit exister pour que celui fait de chair et d'os ait un semblant de sens, a encore de la valeur. Il s'accroche dans les coeurs de Lucy, de Kishi puis de Nita. Il donne du corps à leurs rêves et leurs désirs, justifie leurs ressentis, devient le terreau de leurs émotions.
C'est un hymne à ce monde invisible que Monica Sabolo nous livre entre ces pages. Un hymne politique, transgressif et pourtant infiniment doux. Il nous engage à être humble face aux petites choses qui nous entourent, à savoir laisser de côté la raison pour donner foi à l'intuition.

C'est une fable écologiste et féministe magnifiquement soutenue par un style infiniment précieux, terriblement sensuel et, délicieusement réaliste. La forêt y est décrite comme jamais. Ses esprits nous entourent et nous enivrent. Un chevreuil passe, majestueux, une branche craque. Au sol, quelques flaques de neige persistent. Des champignons grimpent le long de troncs calcinés, des rayons de soleils s'infiltrent entre les feuilles, les arbres chantent. Les arbres crient.
Parfois, ils meurent en silence,
Comme les filles.
C'est un roman sur leur silence que nous offre Monica Sabolo.
Un très beau roman.

ÉdenMonica Sabolotous les livres sur Babelio.com
Lien : http://www.mespetiteschroniq..
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}