AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JeffreyLeePierre


J'ai relu Justine, mais c'est pas ma faute, M'dame, c'est la faute à Arte.
Blague dans le coin, Arte diffuse ces temps-ci une série de documentaires remarquables sur les livres et écrivains "chauds", des Liaisons dangereuses à Lolita, les réactions et les incompréhensions qu'ils ont suscitées. Jetez-vous sur les replay tant qu'ils sont disponibles.
Concernant Sade, outre les thuriféraires habituels, Michel Onfray détonne en disant en gros que c'est juste une ordure qui écrit des horreurs. Alors j'ai voulu me rendre compte.

Mais parlons de la forme d'abord : c'est un bonheur. Sade écrit dans un très beau français classique, peuplé de jolies formules délicieusement surannées (par exemple, "ayez pour agréable de me donner votre dernier mot" à quelqu'un dont on attend une réponse, c'est joliment dit, non ?). Avec parfois des phrases un peu longues, que ce soit dans l'exaltation des ébats pornographiques ou celle des débats philosophiques.

L'histoire, racontée par la protagoniste éponyme lors d'une longue nuit à l'auberge, est en fait risible. Pourvu que l'on ne soit pas rebuté par la crudité des descriptions sur les horreurs infligées, c'est même à se tordre. Soit Justine est une gourdasse intégrale, soit elle finit par aimer ça (ce que Sade nous suggère subtilement vers la fin, en fait). Sa constance à se jeter dans les antres les plus infâmes en suivant aveuglement ses tortionnaires nous laisse pantois. L'expérience venant, elle se dit souvent que c'est un peu louche, mais pas certain, alors qu'a-t-elle à y perdre... et pan! ça rate pas, ça recommence. La fin est un grand moment de n'importe quoi, Sade se moque ouvertement du monde, sans parler de la pseudo-justification de l'ouvrage en introduction et conclusion : cette litanie des malheurs de Justine serait écrite pour nous convaincre d'épouser la vertu !

Venons-en au sujet de ma critique : les échanges contradictoires entre Justine (la vertu outragée) et ses tortionnaires (la justification de leurs actes), dans lesquels Sade expose des idées formidables, mais aussi d'autres quand même bien moisies.

La principale défense des libertins, c'est que s'ils aiment violenter, c'est que la Nature (avec sa majuscule systématique) les a faits comme ça. Et ce serait donc vain de lutter. La civilisation ou la religion et les interdits qu'elle génèrent, les bonnes moeurs et les comportements acceptables... ne sont que des erreurs, leur relativité à travers les lieux et les temps en atteste. Il y a dans cette part des dénonciations audacieuses. Il y a une formidable liberté vis à vis des conventions, jusque dans la liberté de ton. le sort fait à la religion est violent. En gros : vu l'état du monde, soit Dieu n'existe pas, soit c'est une ordure ; le paradis et l'obligation de comportement vertueux qui en découle ne sont donc que des fables pour les faibles.

C'est là que ça devient douteux : le droit inaliénable des forts à exercer leur force sur les faibles est une constante justification. Quand on rapproche cela de la naissance de Sade et de ses agissements, on peut quand même penser que ça craint. Parce que ce n'est pas pour ses idées qu'il a fait de la prison : ses fredaines devenaient plus que gênantes, il était grand temps que sa belle-mère le fasse enfermer. Et sa reprise des idées du siècle des Lumières est très orientée.

Reste que c'est un bouquin formidable, parfois désopilant (la "carrière" de Juliette, celle qui a choisi le vice, brossée en deux-trois pages, est un moment fort), parfois émoustillant, et souvent fascinant. Qui mérite bien de ne pas être jeté en quelque enfer, quoiqu'en pense Onfray.
Commenter  J’apprécie          7318



Ont apprécié cette critique (68)voir plus




{* *}