il chantait les âmes englouties
crachait ses lamentos
déterrait l'aurore
vomissait ses entrailles pour contrarier les
étoiles
il n'y avait pas de spectateurs
il n'y avait pas de scène
il n'y avait pas de théâtre
la colère des plantations grondait
l'ancêtre brûlait le coton
infusait la canne en fleurs
l'ancêtre saluait les quatre foudres
disait paix aux directions
l'ancêtre maîtrisait les ombres
sa voix n'était pas négociable
son âme n'était pas négociable
l'histoire devra un jour laver les désastres
pour ma défense
je citerai le code noir
l'exode la bible
les chants d'esclaves
les expropriations
le matin des génocides
je vous dirai
ma foi décoloniale
mon chagrin cyclope
la capture l'arrachage
le fouet le cachot
la cale le bannissement
les appontements de crachat
les ténèbres qui assassinent la lumière
je hurle je
nage
m’ensilence
ne me défais pas
de mon regard
ne me vide pas
de mes cris
je reste entier
moi diagonal
respire l’air marin
je garde mes parts d’humain
moi vertical
fidèle à l’absence
tissée au flanc de l’aïeul
mon aïeul parole d’honneur
essaimait la saison
lève la tête
lève la tête
lui vivait tête baissée
courait la savane nue
poussé par le fouet sous la pluie
pour me défense
je dirai simplement
tout testament est immonde
je n'ai d'antécédent que l'ouragan
je ne suis qu'un paquet d'os
je n'ai que des vents indomptés
corps recommencé cops
sauvagesse décoloniale
la cadastre de mes vergers secrets
le tremblement de ma joie nue
poussez fleurs blanches
arc-en-ciel mauve
poussez phrases rebelles
Je existe je
la foule attendra
je m’aîle
je m’enîle
je m’encannibale
je m’africane
je nous utopie
je dérisionne
déconfictionne le récit
(Page 31)
Les frontières ne gardent pas les vents
les frontières ne font pas de cerfs-volants
les frontières ne font pas de colibris
les frontières ne font pas de vergers
les frontières ne font que des frontières
un jour les exilés abandonneront leurs rêves
à la tête du fleuve saint-laurent
ça fera un long collier d'amour
ça fera un jardin de lumières
le ciel ne sera plus le même ciel
la terre ne sera plus la même terre
... je suis l'enfant des rues ténébreuses
grandir est plus grand que mes espérances
il m'arrive de parler à mes fantômes...
je ne suis pas un guerrier
la guerre n’est pas mon métier
je ramasse mes visages
fais le tour de la maison
pour ancrer le souvenir
le piroguier avance
ondule mes sens
eaux profondes
Je saute caïman
m’endors ville
me réveille forêt
marron
j’habite infini
la nuit les métamorphoses
je suis le christ noir
au jardin des oliviers
je marche vers la plaine
où ment le soleil
la voix dit
auparavant les marchands
étaient chassés du temple
au jardin des vampires
je suis le terroriste vaincu
j'incendie les banques
les vies hypothéquées
la voix dit
aujourd'hui ce sont les marchands
qui construisent les temples
Je veux écrire un poème qui ne trahisse ni passé
ni présent ni futur
la phrase embrasse les vents les mers les forêts
les séismes les volcans les étoiles
j'entends l'urgence d'habiter
les horloges les cartes du monde
je veux fouler les sentiers du poème
résister
exister vivant parmi les vivants
utopie que je signe et hurle
Rodney Saint-Éloi