Il paraît que
Brandon Sanderson a tendance à retomber dans un schéma narratif similaire d'un livre à l'autre. C'est peut-être justement ce qui m'a motivée à me lancer le défi de lire toutes ses oeuvres. Car j'ai adoré Fils-des-Brumes, et lire des romans qui y ressemblent ne me dérange pas du tout.
Mais décidément, que cet auteur est prolifique ! Son premier roman, Elantris, est paru en 2005 aux États-Unis. Depuis, seize livres adultes ont été publiés en anglais (si je compte bien. Il n'y en a pas autant en français, hélas !). En une décennie, plus d'un livre et demi par an ! Et vu l'épaisseur desdits bouquins, ce n'est pas une mince affaire !
Je vais avoir de quoi m'occuper…
Bref,
Warbreaker est la première marche de mon objectif, et une marche plutôt solide, luxueuse et agréable à regarder. En marbre rose, je dirais, avec plein de motifs mystiques sculptés et argentés. Comprenez : c'était une lecture vraiment sympa, avec plein de mystères, de rebondissements, d'intrigues de cour, et même de l'humour – un sacré bonus par rapport à Fils-des-Brumes !
Comme pour la trilogie, l'auteur s'est basé sur un principe original pour construire son monde. Mais au lieu d'imaginer un univers agonisant recouvert de cendres avec des personnes ayant la capacité de « brûler » le métal pour devenir plus forts, il a créé une magie basée sur la couleur qui divise deux royaumes. Tout comme Fils-des-Brumes, il y a des intrigues, la recherche du pouvoir, et surtout, des enquêtes pour comprendre comment et pourquoi cette magie est arrivée et fonctionne.
Vivenna est la fille aînée du roi d'Idris, un pays aux principes très moralisateurs qui refuse la magie du Souffle – et donc, la couleur. Depuis son enfance, elle est destinée à épouser le Dieu-Roi d'Hallandrène, la nation ennemie qui menace de les envahir. Elle a été formée à la politique hallandrène, aux règles qui régiront son quotidien, et à l'éventualité de sa mort prochaine. Or, son père ne peut renoncer au sacrifice de son enfant préféré. À la place, il envoie Siri, la cadette – la rebelle, celle qui n'écoute jamais ses leçons et qui n'en fait qu'à sa tête. Emprisonnée à la cour des dieux, la jeune fille perd tous ses repères. Elle va devoir faire face à toute la noirceur de la politique : les complots, les trahisons, les secrets… Car rien n'est ce qu'il semble être à la Cour des Dieux.
Mais au passage, Vivenna la sage ne l'entend pas de cette oreille et entreprend de tirer sa soeur de ce guêpier. Sauf que rien n'est plus éloigné de la pratique que la théorie, et elle sera rapidement prise au dépourvu malgré ses plans et ses années de formation.
Les deux soeurs sont les personnages principaux, mais il y en a deux autres que la narration suit : Chanteflamme, le dieu plein d'humour qui ne croit pas en sa propre divinité, et Vasher, un homme mystérieux doté d'une épée tout aussi mystérieuse et qui poursuit des objectifs encore plus mystérieux. Leur lien avec les deux princesses est invisible au début, mais va finir par se dessiner lentement. Il y a aussi tous les secondaires : Denth le mercenaire moqueur, Llarimar, le prêtre qui semble en savoir bien plus sur son dieu que ce qu'il n'en dit (un homme à la patience d'ange et au stoïcisme imperturbable face aux pitreries de Chanteflamme. Tous les deux forment un duo très amusant !), Tissepourpre l'intrigante, qui voit arriver les événements d'un oeil inquiet, Susebron, Bleudoigt… Et pleins d'autres !
Chaque personnage est attachant, à sa manière. Certains pour leurs répliques drôles (Tissepourpre et Chanteflamme sont mythiques !), d'autres pour leur innocence ou leur bonne volonté, d'autres encore pour leurs mensonges et leur méchanceté (eh oui ! Sanderson a su les rend attrayants parce qu'ils ne sont pas manichéens).
Et en effet, RIEN n'est ce qu'il semble être à la Cour des Dieux. Tous les personnages ont des secrets, savent des choses qu'ils auraient dû ignorer et qui change la donne. À tel point que j'ai eu l'impression de m'être faite menée en bateau par l'auteur, car chaque grosse révélation bouleverse le point de vue qu'on a sur les dieux/ la magie/la religion/la société hallandrène (barrer la mention inutile).
Tous ces personnages se posent des questions, intriguent, cherchent à comprendre des choses qui les dépassent et qui étaient là bien avant leur naissance. Leurs actions entrainent des conséquences qu'ils ne maitrisent pas, et grâce à cela, on peut voir que l'univers de
Brandon Sanderson est extrêmement bien ficelé – tout comme Fils-des-Brumes. La magie, surtout, a des principes et des règles complexes dont les révélations tombent au fur et à mesure.
Du fait des épreuves qui barrent leur route, les deux soeurs vont beaucoup évoluer. On s'en rend compte surtout à la fin, quand elles se retrouvent et qu'elles sont obligées de se considérer avec un oeil neuf. Cette évolution se fait en douceur et je ne l'ai pas vu arriver.
La quête de vérité des protagonistes conduit le lecteur sur des pistes de questionnement qui semblent récurrentes chez l'auteur : la religion, la morale, le bien et le mal… Tout cela était déjà présent dans Fils-des-Brumes. Par exemple : une religion peut-elle être bonne si elle ment pour le bien de tous ? À quoi sert de diaboliser des personnes différentes de soi, si ce n'est pour justifier son propre mode de vie ?
J'aime bien ce genre de réflexion. de toute façon, pour moi un livre n'est vraiment abouti que s'il pousse son lecteur à voir le monde différemment et à s'interroger.
La seule chose qui ne m'a pas plu, c'est la fin. Elle est trop floue et on ne sait pas ce que vont devenir plusieurs personnages (enfin, on s'en doute un peu, mais ce n'est pas dit explicitement). Que va devenir le royaume d'Hallandrène maintenant que la vérité est dévoilée ? Que va devenir le Dieu-Roi après ce qu'il s'est passé ?
Va-t-il céder le pouvoir à un enfant et partir couler des jours heureux avec Siri ? Que vont faire les Hallandrènes des Panh-Kaliens, maintenant ? Va-t-il y avoir un génocide ? Vivenna et Vasher vont-ils se mettre ensemble ? Comment les gens peuvent-ils être Rappelés ? Pourquoi ont-ils besoin d'un Souffle par semaine ?
C'est une fin absolument différente de celle de Fils-des-Brumes, qui est totalement fermée, apporte toutes les solutions à nos questions (et même aux questions qu'on ne s'était pas posées).
En fait, je trouve qu'il n'y a pas vraiment de ressemblance de fond entre la trilogie et
Warbreaker. Les personnages sont très différents, ils ne forment pas une équipe soudée qui a pour but de renverser le pouvoir en place et ne se connaissent même pas, l'intrigue n'est pas du tout la même, les magies ne se ressemble absolument pas… le parallèle peut se trouver dans la construction, dans la forme : les univers et les magies sont très approfondis, le cheminement des personnages et leur multiplicité les conduisent à évoluer, les retournements de situation se ressemblent (les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être, chez Sanderson, et j'ai pu anticiper une ou deux révélations), et les réflexions sur la morale et la religion sont les mêmes.
Bref,
Warbreaker était suffisamment différent de Fils-des-Brumes pour me satisfaire, mais suffisamment ressemblant pour qu'on y voit la patte de l'auteur. Peut-être que je me lasserai si je lis plus de livres de lui.
Ou peut-être pas.