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Critique de Patsales


Les poètes ont un vieux truc pour lutter contre la panne d'inspiration : à force d'écrire que la Muse se détourne d'eux, ils finissent par accoucher des 14 vers règlementaires. Mohamed Mbougar Sarr a réussi un exploit du même genre : écrire non seulement un roman sur le roman mais celui-là même qu'on s'emploie à dénoncer.
À moins d'avoir vécu ces derniers mois dans une grotte particulièrement bien insonorisée, on sait que « La plus secrète mémoire des hommes » s'inspire de l'écrivain malien Yambo Ouologuem, prix Médicis 1968 pour « le Devoir de violence », qui disparut des radars après avoir été accusé de plagiat. Ainsi, le narrateur principal du roman de Mbougar Sarr met la main sur un livre ensorcelant dont l'auteur (d'abord encensé puis violemment pris à parti) a disparu et sur les traces de qui il va se précipiter.
Évidemment, nous ne lirons pas une ligne de ce roman culte (Mbougar Sarr est moins idiot que Joël Dicker !) et nous ne le connaîtrons que par défaut, grâce aux critiques qui le visent. Or les défauts relevés sont à la fois ceux du « Labyrinthe de l'inhumain » censé avoir été écrit par T.C. Elimane et ceux de « La plus secrète mémoire des hommes ».
Exemples (ah ben oui je sais, faut suivre) :
On reproche à Elimane de s'être enfermé « dans un vain exercice de style et d'érudition », Mbougar Sarr écrit des trucs du genre « l'entéléchie de la vie qu'incarnait la littérature ». On reproche à Elimane une intertextualité par trop affichée, Mbougar Sarr pastiche Rimbaud avec application en se lançant à la poursuite de la littérature (comme dans « Aube ») qu'il veut asseoir sur ses genoux (comme dans « Une saison en enfer »). On reproche à Elimane d'avoir écrit un livre violent, Mbougar Sarr nous trimballe de génocide en génocide. On reproche à Elimane d'être trop africain ? Mbougar Sarr saupoudre son roman de sorcellerie animiste en faisant mystérieusement mourir les critiques, faut ce qu'il faut.
Donc, « La plus secrète mémoire des hommes » ayant tous les défauts de l'oeuvre culte d'Elimane, on en déduit que ce roman en a aussi toutes les qualités ; que c'est malin ! Écrire un livre en creux et faire de son propre roman l'envers de celui fantasmé, ou plus exactement, d'ailleurs, son endroit : joli tour de force.
Oui, mais bon. Ce roman se veut aussi un biblicide (j'adore) : le livre ultime, celui qui tuera tous ceux passés et à venir en les rendant inutiles. Et là, ça se gâte. Parce que, en guise de littérature, Mbougar Sarr nous gave plutôt de ses théories. L'écrivain dans sa tour d'ivoire vs l'auteur engagé. L'écrivain cosmopolite réceptacle de la culture universelle vs le porte-parole de son peuple. L'artiste maudit vs l'auteur à la mode. le double romanesque de Mbougar Sarr, Diégane Latyr Faye, critique ceux qui veulent tout savoir d'Elimane et « dissiper le mystère de l'homme. » Lui, au contraire, demeure « attaché à celui de l'oeuvre ». Ben non. On ne saura jamais pourquoi les lecteurs du « Labyrinthe de l'humain » sont saisis d'extase en lisant ce livre. On ne verra jamais à l'oeuvre la force de ce roman, il ne changera personne ; car ce n'est pas la littérature qui est au centre de ce livre mais le littérateur.
Les critiques qui découvrirent le livre d'Elimane en 1938 le renvoyèrent à ses origines : « Rimbaud nègre », « Noir savant ». Son roman n'a pas été commenté au prisme de la littérature. Mais Faye, en se lançant à la poursuite d'Elimane ne fait rien d'autre, lui aussi, que de réduire l'oeuvre à son auteur. Il finit d'ailleurs par réduire son histoire à une allégorie : le roi tueur de vieillards ne serait autre qu'Elimane reniant son passé et sa culture. Ça, c'est de l'analyse ! Au secours ! Sainte-Beuve, sors de ce corps.
Reste un livre malin et bavard qui n'est biblicide qu'à la manière De Lagarde et Michard, qu'à la manière d'une anthologie: un vademecum et non une oeuvre, qui intéresse ou qui amuse, mais dont on sort absolument indemne.
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