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Critique de karmax211


Deuxième volet de la trilogie de Tristan Saule - Chronique de la place carrée -, romans sociaux, sociétaux, plutôt noirs comme ont pu s'en rendre compte les lecteurs du tout premier opus - Mathilde ne dit rien -, et si celui-ci semble l'être "un peu moins", ne vous fiez pas aux apparences, il réserve des surprises auxquelles vous resterez difficilement insensibles.

Nous retrouvons donc la place carrée, place située au coeur de la cité populaire de la petite ville de Monzelle.
Dans ces barres d'immeubles conçues dans les années 70 vivent aujourd'hui 8000 de nos compatriotes, ceux essentiellement appartenant à ce que certains appellent "la France d'en bas", celle des "Lumpen", celle qui survit grâce à des petits boulots, des aides sociales, de l'entraide ou de la "débrouille" ; mode de survie peu considéré par le Code pénal.

Au milieu de ce décor et de quelques-uns des protagonistes
du premier pan de la trilogie, dont Loumès, Idriss, Zineb et Mathilde, ouais, "la Mathilde qu'est revenue"... juste le temps d'une ou deux scènes, mais pas n'importe lesquelles...vit Laura, une très belle jeune femme ; une beauté magnétique, un peu comme celle de Cléopâtre.
Laura, infirmière de son état, est passionnée de cinéma. Et puis elle est gay ; rien de vraiment extraordinaire si ce n'est que son amour du 7ème art va lui faire croiser le chemin de Marion, une jeune trentagénaire... mariée à un homme, mais en laquelle vivent des pulsions homosexuelles qui vont faire leur coming out grâce à la "Zone" de Tarkovski et à Laura de laquelle elle va s'éprendre...pour le meilleur et pour le pire.
Tonio, l'ancien toxico auquel Mouss a donné une seconde chance, qui deale "léger" et qui sert de chauffeur à Mouss et à Loumès va se voir proposer par le "Manouche", un Marocain qui a jadis combattu en Bosnie et qui s'est reconverti en trafiquant à la petite semaine et en alcoolo chronique, une affaire d'héroïne.
Passer de l'exta à la dreu et le faire en loucedé en s'associant avec une brute sociopathe, avec l'espoir de toucher le jackpot, tel est le choix auquel est confronté Tonio.
Laura et Tonio forment donc ce binôme dramatique mis en scène par Tristan Saule. Binôme autour duquel gravite un monde dont la vie et les mauvais choix peuvent faire surgir les djinns les plus redoutés.
Mais intéressons-nous un instant à Laura, laquelle fait office dans ce roman d'héroïne cinématographique ( alors que Tonio se débat toutes les larmes de sa mère pour en avoir un peu... ), de scénariste, de metteure en scène, de cheffe opératrice vidéo, de spectatrice cinéphile, voire de critique.... Bref, elle incarne le cinéma dont elle orchestre le film à la manière d'un Otto Preminger, et je me suis posé la question de savoir si le - Laura - de Tristan Saule n'était pas une révérence littéraire offerte au maitre en hommage à son - Laura -, ce chef-d'oeuvre dans lequel auréolait de toute sa "présence" et de tout son mystère une sublime Gene Tierney... laquelle, les amateurs s'en souviennent, a incarné dans - L'Égyptien - de Michael Curtiz la tout aussi sublime princesse Bakétamon... sorte de Cléopâtre, dont la beauté peut faire penser à celle de Laura l'infirmière, bouclant ainsi la boucle...

Et tout cela au début de 2020 alors que de Chine arrive un virus inconnu, le SARS-COV2, plus "célèbre" sous l'appellation de " coronavirus de Wuhan."
La menace est d'abord sous-estimée comme le "nuage de Tchernobyl", puis on manque de masques, puis on confine...et c'est à ce moment-là que le roman nous cueille.

Un roman à l'écriture et au montage ( structure narrative ) découpé comme un film.
Il débute ainsi :
"- le SAMU, bonsoir.
Au bout du fil, une voix féminine, brisée, tremblante.
- Il faut venir. Il faut venir.
- Dites-nous ce qui se passe, madame, dit la permanencière .Comment vous appelez-vous ?
- Il y a un souffle dans le combiné. le vent peut-être. Ou alors la respiration vaine de la femme.
- C'est moi, dit-elle. Je suis rentrée dedans. Je l'ai tuée, elle bouge plus.
- Où êtes-vous, madame ?"

COUPEZ !

D'autres lieux, d'autres scènes, une autre temporalité(?)
Et on retrouve Laura aux urgences qui attend l'arrivée d'une jeune accidentée de la route. L'hélicoptère ne va pas tarder.
La jeune femme qui vient d'être renversée par une voiture est prise en charge et transportée au scanner.
Elle est suivie de près par sa mère qui crie son nom : "Laura !"
Surprise, troublée, l'infirmière se retourne croyant un instant que c'est elle qu'on appelle, que c'est sa mère qui l'appelle...
Cette jeune femme qui porte le même prénom qu'elle, qui a le même âge qu'elle, qui porte un pantalon vert pomme pareil à l'un des siens, ce pourrait être elle.
Tout au long de cette scène, Laura ne va être partie prenante que dédoublée, un peu de manière extracorporelle.
"- Laura contemple l'évènement à distance, invisible. Elle est au cinéma. Personne ne lui prête attention. Elle est un fantôme blanc qui tremble dans la lueur des néons blafards. La fille a le même âge qu'elle, le même nom qu'elle. Laura n'est peut-être que son âme errante, flottant dans la pièce avant de rejoindre le tunnel de lumière, avant de se fondre dans le grand tout. Il n'y a qu'une seule Laura qui s'éteint à l'âge de vingt-trois ans comme une conne, en ayant passé toute sa vie à attendre qu'elle commence. Ça ne devait pas se dérouler comme ça."

COUPEZ !

Laura marquée par la mort tragique de la jeune femme, se confiera à Marion, avec laquelle elle prendra connaissance de la sentence prononcée quelques mois plus tard par un juge contre la chauffarde : deux mois de prison avec sursis. Marion s'indignera de la légèreté de la peine...

Tristan Saule a réussi son pari ; un second volet, différent mais tout aussi prenant que le premier.
L'écriture ciné, l'authenticité des personnages, le réalisme de leur vécu ( en tant qu'ancien soignant, j'ai été scotché par l'aisance avec laquelle il met en scène le médical, le paramédical, leur lexique, leurs codes, leurs actes... c'est bluffant ! ), le rythme et l'action parfaitement accordés, le scénario et le script impeccablement maîtrisés.
La Place Carrée vit sous nos yeux, réelle comme seul le réel pouvait nous la montrer ; se contentant d'observer.
Il y a chez Tristan Saule, sur le plan cinématographique, mais pas que... quelque influence néoréaliste à laquelle, pour ce qui est de la relation Laura-Marion papillonnent devant nos yeux des effluves d'un - Mulholland Drive – qu'aurait mis en scène un duo Truffaut-Kassovitz.

J'ai vraiment tout aimé dans ce bouquin.
À commencer par la structure narrative que je ne peux qu'appeler montage.
Tout y est vie.
Rien n'échappe à la caméra du metteur en scène.
Et comme j'avais parlé en commençant ce billet des lieux que l'on retrouve dans ce deuxième opus et qui nous deviennent familiers, comment ne pas évoquer ces deux établissements symboliques qui enserrent la cité et que sont l'hôpital et la SPA... cette SPA, ce pistolet de Tchekhov dont je me disais que Tristan Saule parlait trop pour ne pas finir par lui offrir un rôle à sa mesure...
Il y a du social, il y a du sociétal, il y a de la chronique, de l'action, du suspense, du noir... et c'est intelligent.

Un régal de lecture... dont je pourrais parler des heures ; je ne le ferai pas, rassurez-vous !

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