Citations sur Perline, Clémence, Lucille et les autres (24)
- La guerre, c'est comme la gale. Faut pas gratter, sinon tu iras jusqu'au sang.
Clémence désigna le journal de la main.
- Que lis-tu de si passionnant
- C’est le journal d’hier. Il y a eu un attentat à Sarajevo. Des terroristes serbes ont jeté une bombe sur l’archiduc François-Ferdinand.
- Il est mort ?
- Oui.
- Et sa femme ?
- Sa femme aussi.
- Les malheureux ! Qui étaient-ils ?
- François-Ferdinand était l’héritier de l’empereur d’Autriche. En fait, la bombe n’a pas atteint l’archiduc. C’est le terroriste qui l’a tué avec une arme à feu.
Antonin qui venait d’entendre la fin de la phrase se rapprocha de sa mère, suivi de Celse.
- Qui est-ce qui a été tué ?
Perline résuma ce qu’elle avait lu.
- C’est loin tout ça ! remarqua Clémence. Je ne sais même pas où est la Bosnie.
- Ce n’est pas si loin que ça, maman.
- Cet attentat ne va pas plaire à l’Allemagne, constata Antonin gravement. J’ai bien peur que ça tourne mal.
Perline serra la main de l'infirmier, le remercia pour son aide puis demanda sans transition :
- Moravie ? Pourquoi Moravie ?
- Mort à vie. C'est simple... Ce type est mort pour le restant de ses jours.
- Un jour, j'ai dit à une voisine que c'était l'ignorance de femmes qui faisait la force des hommes.
Son père disait toujours : "Il vaut mieux voir le loup en face que de le deviner aux aguets."
Même si elle n'en connaissait aucune, en particulier, Perline avait souvent entendu parler de ces ouvrières du textile, créatures maigrichonnes aux bras musclés, qu'on disait querelleuses et insoumises mais qui acceptaient sans broncher le salaire de misère, la moitié de celui d'un homme, en échange d'un travail éprouvant, douze heures debout devant une machine aux impulsions saccadées, l'été dans une chaleur étouffante, l'hiver dans les courants d'air d'un atelier puant l'huile de pétrole et la suie.
- T'as pas l'impression d'un coq qui se pavanerait devant la basse-cour ?
- Mais il est vieux !
- Les hommes font la roue à n'importe quel âge, prononça sentencieusement Ernestine.
Au temps de la guerre, pendant la pause, les munitionnettes parlaient, se donnaient des conseils, des bons et des mauvais, pour échapper à la maternité ou "faire passer". A cette époque, Blanche n'y prêtait guère attention mais elle écoutait quand même. Elle avait retenu quelques recettes. Et comme Théo ne faisait aucun effort de ce côté-là, c'était à elle de se débrouiller comme elle pouvait, avec le peu qu'elle savait.
- Et dans le silence qui se fait, j'entends l'âme de la pierre. Tu ne comprends pas, Antonin, l'âme de la pierre. C'est la pierre qui te parle.
- Et qu'est-ce qu'elle te dit la pierre ?
- Elle me dit l'orgueil des hommes qui se croient importants parce qu'ils vivent quelque soixante ans. Elle me dit que nous ne sommes que de passage pour une courte durée, alors qu'elle était déjà là il y a des milliers d'années et qu'elle sera là dans des milliers d'années. Elle me dit qu'elle est une grande dame, alors que nous ne sommes que des barbares.
Mathias était un garçon de l'assistance publique. Placés chez les paysans ou à l'usine dès qu'ils étaient en âge de travailler, ces orphelins apprenaient un métier sous la direction d'un adulte. Jusque là, Jean-Martin, secondé par ses fils et son épouse, n'avait jamais eu besoin de ces gamins, sans doute pleins de bonne volonté mais trop souvent sans expérience, timorés et incapables d'initiative. (...) Mais les conditions avaient changé et ces enfants étaient désormais recherchés.