La plupart des vieilles ne sont qu’à peine présentes à elles-mêmes, retenues par un fil, tels des cerfs-volants, à la poussière flétrie dont est constitué leur corps : elles voguent à l’envi dans les hauteurs de leur enfance, de leur jeunesse, traversées d’une clarté plus vive qu’un jeune soleil parisien, tandis que pour moi, sombre vache décatie), rien n’existe que les pots de sœur Marie des Anges, sur lesquels s’ouvre et se referme chacune de mes journées…
Et si subitement les mots de ma langue maternelle me quittaient, comme ils avaient fait tout à l’heure, tandis que me souvenais involontairement de Man Louise en français de France ?… Cette langue que je ne parlais plus ne risquait-elle de m’oublier, complètement devenue qu’elle était… une sorte d’animal… un chat familier de mon cerveau… génie du lieu qui ne se souciait plus de mon accord pour entrer en transes ?…
Ne jamais plus lâcher les rênes des chevaux : me souvenir qu’à chaque pas nous frôlons le précipice, eux et moi.
Au vrai, pour la plupart, nous ne sommes pas bonnes et même celles qui y prétendent ne se font pas illusion ; mais quoique nous ayons « machiné » dans notre vie, les atomiseuses nous choquent, nous… tournent les sangs… De mèche avec les atomiseurs du pavillon B, elles collectionnent tous articles sur les performances nucléaires !… Dans la cour, dès qu’il fait beau, on les voit discuter avec passion du Jugement dernier, comme elles appellent la guerre atomique !… Et, depuis qu’on parle de plus en plus d’un conflit général, avec tous les événements de Corée, il y a dans leur groupe une sorte d’ardeur triomphante dont les pieux motifs invoqués ne font pas oublier l’essentielle volonté de plonger le genre humain dans leur propre agonie !
Il est vrai, nos braves nègres des Antilles ont choisi l’appellation modeste de « coq », pour désigner la splendeur du pénis. Ni charrue, ni épée, ni archet ténébreux et romantique mais une petite boule froufroutante et parfaitement domestiquée. Ni charrue, ni épée : mais une volaille qui se rengorge, qui se gonfle de toutes ses plumes, qui se dresse, de toute sa hauteur, comme le témoignage le plus ridicule de notre abaissement. Car, au-dessus de la basse-cour, où les volatiles poursuivent leurs ébats insignifiants, plane le regard souriant du Maître blanc. Et le coq peut donner du bec, éblouir ou meurtrir ses petites compagnes effarouchées, « piler » toutes les poulettes qui ne sont pas restées « attachées au pied de la table » : reste qu’il n’est qu’un animal domestique. Il peut se déchirer le cœur ; mais, dans l’instant qu’il trône sur l’humble croupion d’une de ses concubines, il remplit une fonction de basse-cour.