AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


De mes jeunes années où je lisais et traduisais l'italien comme s'il se fût agi du français, il me reste les souvenirs de quelques belles et grandes oeuvres et la rencontre d'auteurs marquants.
Parmi ces auteurs, Leonardo Sciascia occupe une place de premier plan.
De lui, j'ai dévoré - le contexte -, - le jour de la chouette -, - la disparition de Majorana -, - Les poignardeurs - et - L'affaire Moro -.
Cette "affaire" m'a bouleversé. J'avais vingt-cinq ans lorsque le Président du conseil de la Démocratie Chrétienne a été "prélevé" par un commando des Brigades Rouges au sortir de son domicile le 16 mars 1978 au matin.

Son chauffeur et les quatre gardes de son escorte ont été froidement abattus par les ravisseurs qui ont pris la fuite et séquestré pendant cinquante cinq jours Aldo Moro.
Comme tous mes contemporains européens de l'époque, j'ai suivi à la radio et à la télé le déroulement des faits, et dans ma mémoire s'est imprimée à jamais l'image terrible du pauvre corps recroquevillé de l'illustre otage, retrouvé criblé de douze balles dans la poitrine, enfermé dans le coffre d'une Renault 4L stationnée Via Caetani... à mi-chemin entre le siège national de la DC et celui du PC... le 9 mai 1978.
Entre le premier jour de son enlèvement et les jours qui suivirent, jusqu'à celui de l'horrible issue, des tas de questions ont germé dans mon esprit, dans celui de mes proches et de mes amis.
Le temps passant, le nombre de ces questions sans réponse(s) s'est accru, et lorsque Sciascia a écrit son essai-étude-analyse-enquête... je l'ai acheté et lu dans sa langue d'origine.
Ce livre m'avait ému, et plus de trente-cinq ans après sa parution, j'ai eu envie de le relire... cette fois en français.
L'émotion est intacte.
L'atmosphère de ces "années de plomb" qu'a connu l'Italie est toujours vivace... comme saigne encore le souvenir de la trahison, de la lâcheté, de l'hypocrisie, du mensonge, de l'abandon des noms de ceux qui lâchèrent et sacrifièrent Moro.
Parmi ces noms, on peut se souvenir d'un Andreotti, d'un Cossiga, d'un Craxi, d'un Paul VI, d'un Zaccagnini, d'un Piccoli, d'un Taviani et de beaucoup d'autres...
Ce qui émeut outre la démonstration par Sciascia de l'otage abandonné par les "siens", c'est l'impuissance absolue, le dénuement total de l'homme de pouvoir devenu, le temps d'un "prélèvement", une victime déchue, un être isolé, humilié et par ses bourreaux et par ses "amis" et par les médias et par une partie du popolo italiano "sous influence".
Cet homme qui côtoyait les grands de ce monde en est soudain extirpé, ostracisé, indexé, pour devenir une brebis galeuse voire un bouc émissaire.
Durant ses cinquante-cinq jours de captivité, Aldo Moro a écrit une centaine de lettres.
Toutes ne sont pas connues.
Parmi celles qui le sont, Sciascia cite les plus "célèbres" et les décortique pour en trouver le sens "caché", "crypté"... ou "dicté".
Avec Berlinguer, Moro était en train de réaliser ce qu'on appelle "le compromis historique"... un gouvernement d'union entre la DC et les communistes.
Ce rapprochement, cette alliance, cette union ne faisaient pas que des heureux, tant en Italie qu'à l'étranger ( en particulier en URSS et aux USA ).
Il déstabilisait aussi les Brigades Rouges.
Alors, Moro a-t-il été victime d'un complot ? ( mot à la mode aujourd'hui... mais qui dans son cas l'était déjà en 1978 )
Voici ce qu'en dit Philippe Foro historien, auteur lui aussi d'une - Affaire Moro -.
"Mais le président de la Démocratie chrétienne s'était aussi fait de nombreux adversaires parmi ceux qui condamnaient sa politique de +compromis historique+ avec le PCI, au sein de l'OTAN, des services secrets italiens, dans le monde politique...", précise l'universitaire.
Parmi les historiens et les témoins de l'époque, nombreux sont ceux qui estiment que tout n'a pas été fait pour retrouver Aldo Moro et le libérer. Et que l'Etat italien a fait le choix de le "sacrifier".
Certaines théories avancent ainsi l'hypothèse d'un rôle actif de l'URSS et des Etats-Unis, qui voyaient d'un mauvais oeil une alliance entre démocrates-chrétiens et communistes, en pleine Guerre froide.
"Pour les Etats-Unis, le poids du parti communiste dans le pays le plus important de la Méditerranée était inacceptable et les Soviétiques aussi voyaient une menace dans le +compromis historique+, dira dans une interview, en 2014, Ferdinando Imposimato, le juge qui instruisit le dossier Aldo Moro.
Décédée en 2010, Eleonora, la veuve d'Aldo Moro, n'a jamais pardonné aux dirigeants de la DC, parti se réclamant des valeurs chrétiennes mais qui avait refusé de sauver une vie au nom de la raison d'Etat.
Dans une lettre adressée le 8 avril 1978 à son épouse, Aldo Moro écrira: "Mon sang retombera sur eux".
Alors que l'Italie, pour la énième fois, peine à trouver une majorité pour gouverner après les législatives, le ministre de la Culture Dario Franceschini a évoqué mercredi la mémoire d'Aldo Moro, rappelant "qu'il avait convaincu les deux vainqueurs des élections, qui n'avait pourtant pas la majorité, à soutenir le gouvernement". Et que "ce qui valait pour les leaders d'hier vaut pour ceux d'aujourd'hui" afin de réécrire une bonne fois pour toutes les règles d'un système politique qui ne parvient pas à garantir la stabilité, a expliqué M. Franceschini (PD, centre-gauche)."
Quoi qu'il en ait été, - L'affaire Moro - est un tournant majeur dans l'histoire de l'Italie du XXème siècle, et continue de hanter celle du XXIème siècle.
Rien, je dis bien rien ne permet de penser qu'il y ait eu une envie réelle, traduite par des actes, de retrouver et de libérer l'otage de sa "prison du peuple".
Au contraire !
L'ouvrage de Sciascia, grand intellectuel, grand écrivain, a le mérite d'avoir été écrit sept ans après les faits.
Depuis... le mystère reste entier ou presque. Mais lire ce livre, c'est avoir envie d'en lire d'autres sur ce sujet.
Car Moro, comme tous les hommes injustement sacrifiés sur l'autel de "la raison d'État"... doit continuer à vivre dans nos consciences.
Nous le lui devons comme nous le devons à tous ceux dont on n'a pas le droit de dire qu'ils sont morts pour rien lorsque c'est tout le contraire qui a broyé leur existence.
Un livre relu avec plaisir et émotion.
"Il est néanmoins établi que le gouvernement italien, conseillé par des fonctionnaires américains, a délibérément fait échouer les négociations. Dans un documentaire d'Emmanuel Amara réalisé pour France 5, Les Derniers Jours d'Aldo Moro (2006), Steve Pieczenik, un ancien négociateur en chef américain16 ayant travaillé sous les ordres des secrétaires d'État Henry Kissinger, Cyrus Vance et James Baker, raconte comment il a participé au court-circuitage des négociations afin qu'elles n'aboutissent pas, avec comme recours éventuel de « sacrifier Aldo Moro pour maintenir la stabilité politique en Italie ». « J'ai instrumentalisé les Brigades rouges pour tuer Moro », ajoute-t-il. Un peu plus tard, dans le même documentaire, Francesco Cossiga, ministre de l'Intérieur de l'époque, confirme cette version des faits17. C'est aussi la conclusion à laquelle était arrivé le journaliste d'investigation américain Webster G. Tarpley en 1978. Ces conclusions sont également corroborées par les témoignages du député et secrétaire d'État italien Elio Rosati, très proche collaborateur et ami d'Aldo Moro."


Commenter  J’apprécie          471



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}