Une fois créée, une entité institutionnelle produit sa propre histoire. Et plus cette histoire est longue et plonge ses racines loin dans le passé, plus elle s’apparentera à la mythologie et à l’oubli sélectif qui définisse le nationalisme. Au fil du temps, et aussi artificielles que soient ses origines, une telle identité développera des traits essentialistes et pourrait fort bien devenir l’objet d’allégeances passionnées.
La raison pour laquelle certains peuples ne sont pas devenus civilisés, ne se sont pas "développés", ne tient peut-être pas à leur manque de talent, à leur retard, mais pourrait bien s'expliquer historiquement par leur désir d'éviter ce qu'ils considèrent comme les inconvénients de l’État.
Il existe clairement des « situations millénaristes » au cours desquelles une conjoncture exceptionnelle rend caduque le sens commun qui organisait jusque-là la perception du
comportement, du statut, de la sécurité, et de la façon dont une vie DIGNE DE CE NOM devait être vécue.
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(note en bas de page ... c'est moi qui met en majuscule ... ce qui est particulièrement actuel à cette date.)
La plupart des épidémies contemporaines – la petite vérole, la grippe, la tuberculose, la peste, la rubéole et le choléra – sont des pathologies zoologiques qui se sont développées à partir d’animaux domestiqués.
Partout où ils le purent, les États ont obligé les cultivateurs mobiles pratiquant l’agriculture su abattis-brûlais à se sédentariser dans des villages permanents. Ils ont tenté de remplacer la propriété collective et l’exploitation commune ouverte des terres par une copropriété fermée – les fermes collectives mais surtout la propriété privée inaliénable de l’économie libérale. Ils se sont emparés des ressources en bois et minerais au nom du patrimoine national.
La fuite, au fondement de la liberté populaire, était le frein principal au pouvoir étatique. Comme nous le verrons en détail, les sujets qui étaient directement menacés par la conscription, le travail forcé et les taxes, plutôt que de se révolter, partaient vers les collines ou un royaume voisin. (Points Seuil, p. 80)
La logique immanente de l'enclosure, qui n'a toujours eu que peu de chances d'être pleinement mise en œuvre, est l'élimination complète des espaces non étatiques. Ce projet véritablement impérial, qui ne fut rendu possible que par les technologies d'abolition de la distance (routes praticables en toutes saisons, ponts, chemins de fer, avions, armes modernes, télégraphe, téléphone, et désormais technologies de l'information modernes incluant les systèmes de géolocalisation), est si novateur et sa dynamique tellement différente que l'analyse que je développe ici ne saurait s'appliquer à l'Asie du Sud-Est pour la période postérieure à, disons, 1950. Les conceptions modernes de la souveraineté nationale et les besoins en ressources du capitalisme développé ont rendu cette enclosure finale manifeste aux yeux de tous. (Points Seuil, p. 42)
Loin d’être des données sociologiques et culturelles, les pratiques en matière de lignage, la manipulation généalogique, les formes de pouvoir locales, les structures de parenté, et peut-être même les degrés de littératie ont été « calibrés » pour empêcher (et dans de rares cas faciliter) l’incorporation à l’intérieur de l’État.