Citations sur Cendres blanches (28)
Il ne comprenait pas les femmes et les trouvait dures, insensibles. L’Église était une bonne chose pour elles. Pas la prière mais l’Église et les boniments fielleux d’un prêtre invoquant toutes sortes de châtiments, un prêtre et sa posologie de contritions. Pas le repentir. Les enfants. (pages 47-48)
Il entama les marches d’un escalier menant à un large parvis de granit et considéra la possibilité d’un retour en son pays, la possibilité de fuir, car les 14e et 15e corps d’armée républicains équipés d’un matériel obsolète ne pourraient pas grand-chose contre Dávila et les Italiens, les flèches noires et les brigades navarraises et les Castillans motivés, 90 000 hommes, la légion Condor des nazis, les avions Fiat, les blindés, les fusils-mitrailleurs, les fascistes déterminés à reprendre l’aiguade de Santander. (pages 355-356)
Ils roulèrent à vive allure sur une piste ombragée et plantée de platanes, doublèrent des carrioles chargées de foin, tractées par des carnes d’abattoir, pansues et opiniâtres, traversèrent de paisibles villages, chassant à l’occasion une poignée de truies jetées dans le dénuement effaré d’une venelle adossée à un tas de fumier. (pages 40-41)
Il s’accroupit contre l’aile de la Ford et pleura dans ses mains, cessa et ravala un sanglot, sentit passer dans ses paumes ouvertes une brise alourdie d’un parfum de feuilles mortes, respira cet arrière-fond d’automne et se leva, sa mémoire subitement engorgée de souvenirs d’enfance. (page 315)
À Toulon, elle ne posta pas sa lettre et profita du Dodge d’un officier pour se rendre à Marseille et réaliser un reportage sur la rafle de 1943, deux mille Juifs déportés par la police française, la destruction du quartier nord sur le Vieux Port, les Français et les Allemands unis dans une cordiale efficacité. (page 380)
La houle des crêtes tranchait l’immédiat horizon et se brisait sur un arrière-fond de hautes montagnes, grises et patinées de bleu. Une odeur de bois brûlé, de foin coupé, variait dans la poussière soulevée entre de petites haies de pierres dissimulées sous les ronces. (page 266)
Franck laissa tomber sa pioche et traita son père de lâche et son père rétorqua que les lâches et les généraux survivaient aux orgueilleux et aux imbéciles. (page 113)
Contrainte à l’attente, elle les avait vus flotter, la tête sous l’eau à cause de leur barda trop lourd et de leur bouée bouclée à la ceinture, cadavres de vingt ans déchiquetés par les mitrailleuses et les obus de mortier et les obus de 88. (page 376)
La populace, félonne, frénétique et obséquieuse, sourires lacunaires et pudibonderies inquiètes, l’acclamait, elle et ses semblables libérateurs, la poursuivaient à l’entrée des villages, pavoisait et grimpait sur les blindés, affichait la liesse bravache des libérés, et la fruste retenue des vaincus, sales pour longtemps des oripeaux de la délation, de la servitude et du zèle. (page 378)
… il s’appropria la guerre et la terre divisée sur laquelle il vivait depuis tant d’années, et les morts qui avaient sans cesse fui et avaient pénétré ses rêves et se confiaient à lui, allongé sur le canapé, les morts en holocauste, bavards et arrachés aux pages des journaux, se levaient avec les flammes et lui narraient leur sort et l’ampleur de la damnation dont l’ombre couvrait la terre. (page 372)