« Nous étions pris entre deux cultures très fortes, faisant semblant d'être plus l'un que l'autre, mais sans qu'aucun d'entre nous ne soit capables de retourner dans le pays de ses origines »
Un livre que j'ai dévoré en deux jours de confinement. Agréablement écrit d'une plume alerte, avec une histoire dont l'intérêt se soutient, des personnages bien campés et attachants (même ceux avec qui on n'est pas d'accord !), sous couvert de l'histoire d'amour et du choix de carrière de la jeune Naïma qui voudrait se consacrer à l'humanitaire, plutôt qu'à une carrière de médecin installé, confortable et honorable pour ses parents, la question traitée avec beaucoup de finesse est celle de la « crise identitaire », de la « schizophrénie », comme le dit plutôt Samia Sagaï, des jeunes gens, et surtout des jeunes filles, enfants d'émigrés maghrébins, qui tentent de concilier une double culture aux valeurs très contradictoires, très mal assumée par leurs parents eux-mêmes. Samia Sagaï choisit d'illustrer son propos par l'histoire de trois amies de banlieue, cultivées toutes trois (diplômées de médecine), avec des familles sans problèmes financiers et aimantes. Leurs histoires se croisent, elles cherchent leur réponse, l'une acceptera dans le bonheur et l'apaisement le mari proposé par son père, un cousin qui n'a pas la nationalité et doit revalider ses diplômes, l'autre s'échappe dans la transgression et devient la dupe d'un homme marié. La troisième, ah, la troisième…Naïma, elle aussi, a des problèmes de carrière et d'amour et un choix à faire, mais je ne vous en dirais rien, pour ne pas spoiler.
Ecrit sans révolte, sans violence, mais sans mièvrerie non plus, avec une grande intelligence sous son apparente simplicité, décrivant des gens aimants, qui veulent bien faire, qui désirent le bonheur de leurs enfants et qui échouent, le livre analyse la schizophrénie des pères, d'abord, qui « à force de ne côtoyer que leurs congénères souvent du même village « au bled » (…) n'ont jamais fait l'effort d'apprendre le français », puis celle des enfants, les fils qui reproduisent volontiers le modèle familial et donc un certain défaut d'intégration et les filles qui cherchent (ou non) une autre voie. Une analyse très fine, très nuancée, acceptable et humaine.
Les parents pataugent, les enfants trinquent.
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Il y a longtemps, ils (mes parents) avaient choisi la France comme pays d'accueil, ils avaient travaillé dur pour se faire une place sans jamais vraiment s'intégrer, engendrant ainsi toute une génération de schizophrènes qui ne savaient plus s'ils étaient Français ou Arabes, par crainte d'être traités de "francisés", considérés comme un déni de soi et de ses origines.