AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 4bis


Seconde moitié du 14e siècle, dans le sud de la France. Après la peste noire qui a décimé près de la moitié de la population d'Europe. On construit encore des cathédrales, on commerce à nouveau avec le Moyen-Orient. Les ordres mendiants rivalisent avec le pouvoir des évêques, imposant aux foules éperdues et affamées leur pauvreté agressive, l'ostensible dépouillement d'une existence qu'ils veulent au plus près de celle du Christ. L'hérésie cathare a été vaincue mais les flammes de la controverse sont encore vives ici comme en Rhénanie. A la Sorbonne, on se cherche des maîtres spirituels, les plus érudits redécouvrent Aristote et Platon quand la foule des moinillons grégaires se contente d'admirer leur maître et de mener à coups de poing plutôt que d'argutie des batailles ayant bien peu à voir avec le céleste. L'inquisition, diligentée par le Pape, est déployée dans les moindres campagnes afin que l'ordre de l'église ne soit plus jamais contesté. La misère et la crainte règnent.

Voilà pour le cadre de Croix de cendre. Deux jeunes moines, Robert et Antonin, ouvrent le roman. Guillaume, leur prieur, leur a ordonné de se rendre à Toulouse afin d'acquérir de précieux vélins. Il pourra ainsi faire de sa vie la nécessaire confession. C'est donc par la gourmandise fanfaronne De Robert, sa foi profonde aussi, les aventures sympathiques d'un duo soudé que nous rentrons dans cette histoire. Bien sûr, très vite, les choses se gâtent. Nos deux amis sont faits prisonniers par l'inquisiteur afin de servir de moyens de pression sur Guillaume dont il craint les confessions.

Pourquoi ce livre a-t-il été écrit ? J'avoue ne pas avoir une réponse très claire à cette question. le roman se déploie autour de la figure centrale d'Eckhart, théologien et philosophe allemand ayant réellement existé. Sa proximité théologique avec les béguines, le succès de ses prêches aux propos parfois subtilement paradoxaux lui ont effectivement valu un procès en hérésie. Sans doute le scandale est assez attaché historiquement à cette figure pour qu'elle trouve un potentiel romanesque.

A travers le récit que fait Guillaume de son compagnonnage avec le maître, Antoine Sénanque met effectivement en scène les succès d'Eckhart, il campe habilement les querelles, la précarité du pouvoir papal, l'état d'une Europe ravagée par la peste, les famines, tout à la fois écartelée et abandonnée par les ordres régulier et séculier. Ce sera donc un roman historique mettant en scène une époque reculée et rendue presque monstrueuse par les tourments qui la traversent.

A cela, je n'aurais rien à dire si les personnages m'avaient paru un peu plus résolument incarnés. le début du livre voit les deux jeunes moines attendrissants de foi profonde et de pure amitié, dans une relation complètement asexuée et naïve. Un parti pris hautement invraisemblable mais que j'ai accepté, me disant qu'il éviterait une psychologisation peu compatible avec une époque où l'individu n'existait effectivement pas. Mais il aurait fallu alors, temps médiévaux obligent, que l'absence de motif psychologique soit compensée par la force d'une puissance spirituelle. Qu'autre chose que les besoins de la narration guide ces personnages à travers les nombreuses péripéties émaillant le roman.
Pourtant, de la spiritualité, il y en a. Se fondant sur la mystique d'Eckhart telle qu'elle a réellement été professée, Antoine Sénanque fait du détachement le coeur de l'intrigue. Un détachement poussé à ses extrémités les plus radicales. Dans un monde où vous n'êtes pas sûr de survivre à la journée qui s'achève, où les destins particuliers ne sont rien et où chacun semble au contraire exalter les mérites d'un renoncement, d'une discipline mortificatoire, il faut au moins l'orgueil d'Eckhart pour aller plus loin encore chercher dans le reniement de tout besoin physiologique l'espoir même de ressusciter un être cher. Se prendre pour le Christ et faire de Marie, une enfant rencontrée chez les béguines, un nouveau Lazare, ce serait culotté si la nécessité de ce geste avait été ancrée par des motifs crédibles. Mais quand on baigne dans une période où les morts sont légion, où les personnages n'ont pas d'intériorité mais ne semblent répondre qu'à des idéaux abstraits, qu'on est un moine qui observe scrupuleusement la règle dominicaine au point de n'avoir aucune affection terrestre pour quiconque, comment justifier qu'on veuille soudain faire renaître de ses cendres une enfant à laquelle rien ne nous rattache ? Et comment faire gober à son lecteur que cet échec conduise à un déferlement de haine, de violence et de destruction proprement apocalyptique ?

Moi, je n'ai pas pu. Il m'a semblé que chaque personnage obéissait moins à une nécessité intérieure qu'à la trame romanesque d'ensemble. Vivait moins les affres d'une pure foi dans un monde tourmenté que le cours d'une existence entièrement vouée à mettre en place les différents rouages permettant à l'auteur la mise en place d'un scénario ingénieux. de ce fait, j'ai de moins en moins goûté les péripéties, rebondissements et retournements de situation. Je me suis peu à peu résolument détachée de ces personnages dont on ne me disait rien qui m'aide à les comprendre. Ni psychologique, ni mystique, Croix de cendre est, à mon sens, un roman seulement pseudo historique. Ce qui sonne, vous l'avouerez, assez creux.
Commenter  J’apprécie          4235



Ont apprécié cette critique (42)voir plus




{* *}