AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782246832669
432 pages
Grasset (16/08/2023)
3.64/5   325 notes
Résumé :
1348: La peste noire déferle sur l'Europe.
1367: Deux jeunes frères dominicains se rendent à Toulouse, en quête du précieux parchemin que leur prieur attend pour y graver son ultime confession. Ils ignorent tout du piège qui va se refermer sur eux. Car ces aveux recèlent le secret de maître Eckhart, une des plus fantastiques figures du Moyen Âge, prêcheur aux sermons foudroyants, adulé puis maudit après son procès en hérésie et sa mystérieuse disparition. Ils... >Voir plus
Que lire après Croix de cendreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (77) Voir plus Ajouter une critique
3,64

sur 325 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 52 °°°

1367. Deux jeunes moines dominicains prennent la route vers Toulouse, chargés par leur prieur d'aller acheter du parchemin vélin de la meilleure qualité afin de rédiger ses mémoires. Plutôt heureux de quitter la monotonie de leur couvent, les deux candides ne se doutent pas du guêpier dans lequel ils se sont fourrés. L'Inquisition les attend, alertée par les projets du prieur dont les confessions pourraient révéler un secret capable d'ébranler l'Eglise et ses fondements.

Dès que parait un polar historique érudit situé au Moyen-Age, mettant en scène des ecclésiastiques, des inquisiteurs et des controverses religieuses, on le compare inévitablement au Nom de la rose d'Umberto Eco, le maitre étalon du genre, absolument indépassable. Dans ce cas précis, oui, j'y ai pensé, évidemment, mais la comparaison s'arrête vite car ici, pas de huis clos, on est autant dans le roman d'aventures que le polar car l'auteur fait voyager ses personnages de Toulouse à Paris, en passant par Cologne, Avignon où siège la papauté à cette époque, et surtout le Moyen-Orient sur la route de la soie.

A partir de là, Antoine Sénanque construit un récit à deux temps maitrisé de bout en bout : le récit au passé des mémoires du prieur racontant sa jeunesse aux côtés de Maître Eckart, renommé théologien, ainsi que les origines de la Peste en 1347 lors du siège de Kaffa ; vingt ans après, le récit au présent de la lutte entre l'Inquisition et les moines dominicains menés par le prieur.

L'auteur alterne avec brio scènes de bravoure ( incroyables descriptions du siège de Kaffa, comptoir génois, par la Horde d'Or tatare du Khan Djanibeg, ou encore des geôles cauchemardesques de l'Inquisition toulousaine ) et scènes plus intimistes, notamment celles centrées sur la philosophie religieuse de Maître Eckart dont le prieur a été le disciple. C'est une prouesse de rendre accessible sa théologie complexe qui est au coeur de l'intrigue. J'ai eu l'impression de tout comprendre de sa mystique abolissant la distance de majesté entre Dieu et les hommes à partir du moment où ces derniers accomplissent un dénuement radical de l'âme. Maître Eckart n'a jamais été déclaré hérétique ( il s'en est fallu de peu ) mais ses écrits ont été condamnés et censurés.

Et puis, il y a les personnages, tous formidablement incarnés, tous dotés d'une psychologie fouillée qui se révèle progressivement ( pour les plus âgés comme le prieur Guillaume et son sacristain ) ou se transforment ( pour les plus jeunes, Antonin l'érudit et Robert, plus rustique ), y compris le « méchant », le fourbe inquisiteur Louise de Charne, qui avait tout pour être caricatural et finalement est bien plus complexe, et donc intéressant, que l'expression manichéenne de sa haine et de son ambition. Sans oublier les formidables béguines formant des communautés de femmes pieuses et travailleuses vivant leur foi de façon enflammée, quasi charnelle.

Le récit est rempli de surprises, de secrets révélés, de rebondissements au coeur de la folie des luttes intestines entre les différents ordres religieux ( ici Franciscains vs Dominicains ) et au sein de ces mêmes ordres religieux. On se régale des dialogues enlevés,. Bref, ce roman est palpitant et passionnant !
Commenter  J’apprécie          13820
Polar mêlant L Histoire et la fiction, en plein Moyen-Age religieux, où la fureur de la peste le dispute aux atrocités de l'Inquisition…
Dans « Croix de cendre », Antoine Sénanque nous invite tout à la fois à descendre et à monter, à voir le pire possible en l'homme et à déceler ses sommets de pureté. La noirceur la plus absolue de l'âme humaine côtoie le sacrifice le plus extrême de soi par amour pour son prochain. Ascenseur émotionnel remarquable dans lequel nous embarque l'auteur, nous faisant découvrir la vie, la philosophie et les secrets de Maitre Eckhart, dominicain allemand de grande renommée qui enseignait dans les universités, les monastères, les béguinages et les confréries religieuses de toute l'Europe.

A l'hiver de sa vie, au 14ème siècle, le prieur Guillaume, avant de partir au ciel, souhaite révéler d'importants souvenirs au sujet de son maitre, feu Maitre Eckhart. Vu l'importance des révélations, il souhaite les faire écrire sur un matériau noble, le vélin, peau de veau à la texture douce, fine et qui sait comme nulle autre capter la lumière. Il envoie ainsi frère Robert et frère Antonin, deux moines liés par une forte amitié, auprès de tanneurs afin d'aller chercher les matériaux nécessaires à son projet, le vélin donc mais aussi l'encre bien spécifique et les plumes. Une fois arrivés sur place, les deux frères se font étrangement amener chez l'Inquisiteur du Languedoc qui décide de séquestrer Robert dans une terrible geôle au doux nom de Couloir, le soupçonnant d'hérésie, et propose un marché à Antonin : il lui promet de libérer Robert si, en contrepartie, Antonin, chargé d'écrire dans le scriptorium sous la dictée de Guillaume ces fameuses révélations, lui livre secrètement et régulièrement les confessions de Guillaume dont il semble craindre ou attendre le contenu. Force est de se demander, avec Antonin, quel secret ce parchemin va contenir pour intéresser autant l'Inquisition…

L'amitié extrêmement forte qui lie Antonin à Robert le pousse à obéir, mais il est également loyal et fidèle à Guillaume. le jeune moine étant visiblement totalement tiraillé, Guillaume ne tarde pas à se douter du terrible dilemme que vit le jeune moine. Aussi, à l'aide de son fidèle sacristain Jean et du tanneur, il va tenter de secourir Robert tout en évitant, avec subtilité, de céder au chantage de l'inquisiteur. le manuscrit lui, s'écrit peu à peu et nous découvrons, en même temps qu'Antonin, qui était Maître Eckhart, ce célèbre théologien dont Guillaume fut ainsi le fidèle assistant, esprit libre, brillant et controversé, aux idées spirituelles hétérodoxes, rendu fou par la cruauté des hommes d'église. Ce manuscrit évoque également la peste qui ravagea l'Europe décimant les populations, faisant des villes et des villages des lieux de désolation.

Ce roman est un livre dont la belle érudition s'entrelace à merveille avec le récit d'aventure romanesque. Une érudition de qualité qui se base sur des faits historiques véridiques. J'ai été impressionnée par la maigre bibliographie sur laquelle s'est basée Antoine Sénanque. Quatre livres en tout et pour tout, dont j'ai noté précieusement les références, pour nous expliquer les épidémies de peste, dénommée alors « le fléau de Dieu », sa propagation et ses effets dévastateurs. L'épidémie de peste de 1348 est particulièrement bien relatée avec en point de mire l'incroyable siège de Kaffa par les armées Mongoles qui l'abandonnèrent après avoir été décimées par la peste, non sans avoir contaminé au préalable la ville en catapultant tous leurs cadavres atteints par la maladie. L'auteur nous explique également les différences entre les Dominicains et les Franciscains et leur rivalité ; il nous narre les médecines de l'époque à base de saignées et de concoction de Simples, ces herbes médicinales ; nous relate les riches idées spirituelles de Maitre Eckhart, notamment celle du Détachement le plus total, ou encore l'existence des béguines, ces femmes veuves, extatiques, libres, sans voeux, ni clôture, dont les vibrants et passionnés poèmes spirituels entachent leur réputation auprès de l'Inquisition. Sans oublier justement le voile soulevé sur les rouages perfides de l'Inquisition basées sur la délation facile et les preuves sorties de leur contexte, pour se débarrasser rapidement de quelqu'un, ainsi que ses méthodes de torture totalement effarantes.

« C'est la peste qui a redressé la chrétienté. Aucun de nos châtiments, aucune de nos tortures n'auraient pu terrifier les pêcheurs à ce point. Depuis, le peuple fait pénitence. En Allemagne et tout au long du Rhin, entre Bâle et Strasbourg, des groupes de laïcs se regroupent dans la simplicité et le service des autres. Leur seule inspiration est d'imiter le Christ. On les appelle les « amis de Dieu ». Ils ne sont pas guettés par les hérésies car ils ne réfléchissent pas. Ils ne pensent pas leur foi, ils la vivent. Simplement. La peste a tué la pensée. Les idées sont mortes sur les charrettes qui portaient les corps de ses victimes. Les catastrophes ont cet effet sur l'humanité, elles tuent les ambitions».

Entre fresque historique, polar religieux et quête spirituelle, l'auteur nous plonge avec délice et de façon haletante, dans une Europe hantée par le fantôme de la peste et rongée par la corruption des élites religieuses. C'est un livre qu'on ne lâche pas, superbement écrit, qui touche à la fois le coeur et la raison !

Commenter  J’apprécie          11460
Petit écho à Umberto.
En 1367, l'église ne sent pas la rose, et le prieur Guillaume charge deux jeunes frères dominicains de se rendre à Toulouse pour lui ramener du vélin, parchemin de luxe tiré de la peau d'un veau mort-né. Ils vont se faire tanner pour ramener la rame de papier. L'homme d'église ne veut pas se lancer dans les enluminures pour soigner ses majuscules mais pour révéler le destin du plus grand théologien de l'époque, Maître Eckhart, dont il fut le novice et compagnon de déroute.
Cet illustre mystique qui a vraiment existé et dont émanait, parait-il, un feu sacré, sans pourtant finir au bûché, a eu quelques démêlés avec les autorités ecclésiastiques de l'époque, qui lui firent un procès en hérésie pour avoir eu un peu trop d'influence spirituelle et pour avoir aussi un peu trop béguiné avec les béguines, ces femmes qui vécurent en communautés religieuses laïques le long du Rhin.
Le grand inquisiteur du Languedoc va chercher à contrarier l'écriture de ces mémoires, la révélation de certains secrets pouvant causer du tort à ses ambitions papales et un séisme au sein de l'église.
Je propose à tous les déclinistes de partir un faire un stage au 14ème siècle dans ce roman pour relativiser nos petits soucis actuels. Au programme des calamités : peste noire qui toucha un européen sur trois, famines à répétition avec une vague glaciaire, la guerre de Cent ans qui dura 116 ans (c'est un peu comme les 3 mousquetaires qui étaient quatre), pas de wifi, pas de retraite autre que spirituelle avec une espérance de vie de libellule et une Inquisition en avance sur son temps puisqu'elle décarbona ses barbecues en faisant de l'hérétique un bon combustible attisé par des larmes de repentir.
Antoine Senanque, qui a choisi comme pseudonyme le nom d'une magnifique abbaye Cistercienne, a habilement construit son récit en alternant les machinations du grand inquisiteur pour contrarier la rédaction des mémoires du prieur Guillaume et le parcours presque biblique de Maître Eckhart avec l'ombre de la peste noire comme châtiment divin. D'ailleurs, le récit du siège de Caffa par l'armée Mongole qui catapulta ses pestiférés derrière les remparts avant de plier boutique et yourtes est saisissant d'effroi. Ils ont inventé la guerre bactériologique.
Dans ce polar médiéval, l'auteur mêle bubons et goupillon, aventures à la bure et érudition, scapulaires et crapules, réalité historique et fiction. C'est passionnant de bout en bout, et même les paragraphes qui vulgarisent les théories complexes et arides de Maître Eckhart ne m'ont pas donné envie de bouffer du curé après le chapon.
Cette histoire s'amuse aussi des luttes d'influence peu glorieuses entre les Dominicains et les Franciscains, deux ordres mendiants qui n'ont pas le même maillot et qui muèrent leurs voeux d'humilité en résolutions de nouvelle année à l'approche d'une salle de sport et d'agités en lycra.
C'est aussi un beau roman sur l'amitié et la fraternité, thèmes qui climatise un peu l'enfer des fléaux de ce siècle.
Croix de cendre, superbe titre, sans égaler « le nom de la Rose », mérite copistes et enluminures.
Bon, je peux aller à confesse je crois.


Commenter  J’apprécie          9611
Lorsque leur prieur les envoie à Toulouse y chercher la meilleure qualité d'encre et de vélin pour son testament, les frères dominicains Robert et Antonin sont loin de se douter que cette mission va les mener tout droit dans les griffes de l'Inquisition. Tandis que, retenu en otage, le premier est jeté au plus secret des terribles geôles du tribunal pontifical, le second se voit contraint, pour espérer le libérer, de transmettre au grand Inquisiteur les confessions à venir de leur maître. Quels secrets sont-elles donc supposées dévoiler pour, en pleine Inquisition, faire trembler l'Église et son ambitieuse et intrigante hiérarchie ?


Désormais doublement tenus en haleine, par le sort De Robert livré aux affres de la torture et par les mystérieuses révélations qui vont occuper plus de quatre cents pages aussi denses en surprises qu'un polar, nous voilà, par une habile mise en abyme nous plaçant dans la même perspective qu'Antonin, récipiendaire des mémoires de son aîné Guillaume, les témoins emplis de curiosité du monde intellectuel du XIVe siècle. le récit à l'intérieur du récit nous place cette fois dans les pas de Maître Eckhart, personnage bien réel disparu quarante ans plus tôt, en 1328, et dont Guillaume fut le jeune disciple et assistant.


A son époque, Maître Eckhart était un théologien de grande renommée qui enseignait dans les universités, les monastères et les confréries religieuses de toute l'Europe. La narration de Guillaume est l'occasion de découvrir sa pensée, de considérable influence, dans le contexte d'effervescence intellectuelle qui, en ce tournant du XIVe siècle, accompagnait la renaissance des villes et l'essor des échanges à travers l'Europe. Monastères, ordres, mais aussi confréries à vocation religieuse - béguinages ou autres - se développaient, en même temps que les écoles et les universités où clercs et laïcs se disputaient l'accès au savoir et à l'enseignement. Les rivalités étaient telles que l'on en venait souvent aux mains entre factions étudiantes, ces frictions reflétant à leur échelle les luttes politiques pour le pouvoir entre les diverses autorités.


Dans une telle foire d'empoigne, un moyen radical de se débarrasser d'un importun consistait à le dénoncer à l'Inquisition, pour peu que, comme Eckhart, certains de ses propos sortis de leur contexte pussent fleurer l'hérésie. Si sa mort avant la fin de la procédure d'Inquisition coupa court à toute sanction, son oeuvre ayant été condamnée post mortem à l'oubli, toutes les mesures furent prises pour qu'elle disparût avec lui. Un retour à l'obscurité qui en devançait un autre, d'une ampleur cataclysmique, puisque vingt ans plus tard, en 1348, la peste ravageait et terrorisait l'Europe, tuant les idées dans un regain de ferveur religieuse. Cet épisode noir de l'Histoire offre à l'écrivain l'un des passages les plus impressionnants de son livre, à l'occasion du siège de Caffa que les armées mongoles abandonnèrent, décimées par la peste, mais non sans contaminer la ville en y catapultant leurs cadavres pestiférés...


Mêlant l'Histoire et la fiction avec autant de réalisme que d'originalité, Antoine Sénanque signe un roman passionnant, polar médiéval mâtiné d'aventures, habile emboîtement de symboliques et éclairante vulgarisation de la pensée philosophique et religieuse de l'époque. Quelle ironie que ce personnage qui, après avoir tant travaillé à son union à Dieu selon le principe de divinisation de l'homme, se fait plus vengeur que le plus biblique des Dieux, allant jusqu'à préférer la compagnie des rats à celle de ses semblables ! Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          8715
Pour maintenir tout un peuple dans l'obéissance, rien de tel que la peur. Ainsi l'homme inventa la damnation éternelle en plus d'avoir inventé les guerres. Mais Dame Nature le supplanta en inventant les maladies. Quoi de plus terrifiant que la maladie? Quand rien ne peut vous protéger de cet ennemi qui vous tue de l'intérieur.

En 1346, les Mongols se trouvent en Crimée et font le siège de la ville de Caffa. Se sachant atteints par la peste et devant lever le camp, ils catapultent leurs cadavres par-dessus les murs de la ville pour infecter la population. Nous sommes au XIVème siècle et l'homme vient d'inventer la pire des guerres, la guerre bactériologique. Car une fois les Mongols partis, les Génois qui avaient leur comptoir à Caffa s'empressent d'affréter leurs navires pour regagner l'Italie, emportant dans les cales des centaines de rats infestés. C'est ainsi que l'Europe connut sa plus grande épidémie, qui lui fit perdre environ un tiers de sa population, soit 25 millions de personnes.

L'intrigue de Croix de cendre se situe vingt ans plus tard et commence dans le paisible monastère de Verfeil, en Haute-Garonne, dirigé par le Prieur Guillaume. La terreur de la peste s'est éloignée et la vie a repris son cours. Guillaume, sentant ses forces décliner, veut à tout prix laisser un témoignage de ces années de peste auxquelles il a miraculeusement survécu. Il envoie donc à Toulouse deux jeunes moines, Antonin et Robert, avec pour mission de lui ramener du vélin pour écrire son livre. Et c'est là que les péripéties commencent pour nos deux moinillons qui ne connaissent rien du monde et des bassesses humaines. Revenu à Verfeil, Antonin sera la main du Prieur Guillaume, celui qui devra graver dans le précieux vélin son histoire, notamment ce jour où Maître Eckhart l'a choisi pour être son assistant et les nombreuses années d'enseignement qu'il a passées à ses côtés. Entre le Maître et son disciple s'est tissée une solide amitié que rien, semble-t-il, ne peut défaire si ce n'est le terrible secret que Guillaume tient à graver sur le parchemin.

J'ai lu à de nombreuses reprises que Croix de cendre était un polar médiéval que l'on compare volontiers au Nom de la Rose. le terme polar me semble exagéré même si intrigue il y a. le héros étant un très jeune moine, il s'agirait plutôt d'un roman d'apprentissage ou d'aventures. Mais surtout, les pages qui décrivent les échanges entre Maître Eckhart et son jeune ami Guillaume sont d'une grande profondeur. Antoine Sénanque a étudié la pensée de Maître Eckhart et nous en livre la substance avec une remarquable aisance, rappelant au passage combien la pensée du Maître s'est enrichie de celle de Marguerite Porète, béguine et poétesse nous ayant laissé de merveilleux chants adressés à Dieu.

Maître Eckhart: " -Que tu dises qu'Il est infini ou qu'Il fait la taille d'une mouche, Dieu n'est rien de ce que tu peux en dire. Mieux vaut dire alors que Dieu n'est rien. Ou dire ce qu'Il n'est pas, plutôt que ce qu'Il est à l'horizon de notre faible intelligence. Dès que tu parles de Dieu, dès que tu le qualifies, tu le fais exister comme une créature. Et c'est cela, dont il faut se séparer. du Dieu créature."

Roman historique, Croix de cendre s'inscrit dans un Moyen-Âge tourmenté ou le Grand Inquisiteur faisait régner la terreur au nom de Dieu, ayant le pouvoir de torturer et tuer qui bon lui semblait. Mais curieusement, les hérétiques étaient surtout des pauvres et des femmes. Pas de seigneurs pour allumer les bûchers. Pourtant certains, luttant contre l'obscurantisme, faisaient copier des textes et des sermons interdits qu'ils cachaient ensuite dans les doubles-fonds de leurs bibliothèques. Qu'ils en soient remerciés.
Étrange époque que ce Moyen-Âge de tous les excès, de la peste et de la barbarie mais aussi des courants spirituels les plus purs. Mais sans Dieu, comment les hommes auraient-ils pu supporter cette existence difficile?

Et voilà sans doute le coeur même de ce roman, l'interrogation qui le traverse de bout en bout. Quelle quantité de souffrance pouvons-nous endurer avant de douter de Dieu? Face à la maladie, la cruauté, la mort de ceux qu'on aime, dans le pire dénuement, serons-nous capables, comme l'a fait Job, de garder la Foi? Ou au contraire serons-nous de ceux qui accusent? Car les fléaux qui s'abattent sur l'humanité, si Dieu ne les a pas envoyés, pourquoi ne les a-t-il pas empêchés? Tout vrai croyant, un jour, connaît le doute qui égare. C'est un chemin semé de pierres. le mieux est de ne pas le parcourir seul car le retrait du monde est un poison dangereux pour l'âme et l'esprit.

Dans Croix de cendre, Antonin et Robert font le chemin ensemble et c'est peut-être là le plus beau du livre, cette fraternité qui vous sauve de tout, y compris de vous-même, cette intime faiblesse que l'on peut avouer sans qu'elle vous soit reprochée.
Robert: -"La vie est sèche, Antonin, c'est pour çà qu'il faut pleurer dessus. Pour qu'on puisse y faire pousser quelque chose."
Et ces deux-là cultivèrent le plus pur et le plus noble des sentiments, l'amitié.
Commenter  J’apprécie          678


critiques presse (6)
Culturebox
12 décembre 2023
Recette : aventures, fresque historique, atmosphère monocale et polar médiéval. Erudit.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
06 novembre 2023
"Croix de cendre", un roman aussi lumineux que les plus belles pages d’un manuscrit, et aussi noir que la peste !
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeFigaro
31 octobre 2023
Un polar érudit et ambitieux qui transporte le lecteur dans l’Europe du XIVe siècle.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
OuestFrance
23 octobre 2023
Suspense étonnant et intrigue de pouvoir dans les coulisses de l’église du XIVe siècle… Ce roman sélectionné par le jury du prix Goncourt ravira les nostalgiques du « Nom de la Rose » d’Umberto Eco.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
SudOuestPresse
06 octobre 2023
L’écrivain signe un polar médiéval aussi foisonnant qu’érudit. Jubilatoire à plus d’un titre.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeMonde
29 septembre 2023
Un roman qui combine érudition historique, trame policière et atmosphère monacale.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (117) Voir plus Ajouter une citation
L’Inquisition se meurt, Guillaume, et ne se relève pas des temps de peste, continua-t-il après avoir bu une longue gorgée du breuvage sans paraître en ressentir la brûlure. Tu sais comment les gens du peuple appellent la grande épidémie ? Le fléau de Dieu. C’est le nom qu’ils donnaient à mon tribunal. Mais le bras qui les a châtiés s’est abattu bien plus fort que le mien. C’est la peste qui a redressé la chrétienté. Aucun de nos châtiments, aucune de nos tortures n’aurait pu terrifier les pécheurs à ce point. Depuis, le peuple fait pénitence. En Allemagne et tout au long du Rhin, entre Bâle et Strasbourg, des groupes de laïcs se regroupent dans la simplicité et le service des autres. Leur seule aspiration est d’imiter le Christ. On les appelle les « amis de Dieu ». On devrait dire les « amis de la peste ». Ils ne sont pas guettés par les hérésies car ils ne réfléchissent pas. Ils ne pensent pas leur foi, ils la vivent. Simplement. La peste a tué la pensée. Les idées sont mortes sur les charrettes qui portaient les corps de ses victimes. Les catastrophes ont cet effet sur l’humanité, elles tuent les ambitions. Elles rendent l’humilité au monde et les inquisitions inutiles. Les amis de la peste n’essaieront jamais d’atteindre le ciel. Ils prennent Jésus comme maître de vie. Jésus, l’homme, pas le fils de Dieu. La hauteur d’homme, Guillaume, c’est l’altitude de l’avenir. Personne ne voudra monter plus haut.
Commenter  J’apprécie          251
En 1219, un concile interdit définitivement au clergé de l'exercer (la médecine), ordonnant aux moines qui étudiaient la santé des hommes de retourner à l'étude de la santé de Dieu. La profession médicale revient alors aux laïcs des universités qui se prétendaient clercs. Quelques monastères continuèrent à prodiguer des soins malgré l'interdit, mais leurs moines ne pratiquaient jamais de saignée, ni d'acte chirurgical. Un vieux principe leur interdisait : Ecclesia abhorret a sanguine, "L’Église a horreur du sang". La chirurgie avait été abandonnée aux barbiers qui possédaient dans leurs échoppes des lames assez coupantes pour l'exercer. On jugeait que leur habileté à manier le ciseau sur les barbes leur donnait une compétence pour les gestes chirurgicaux que le diable devait pratiquer avec eux puisqu'ils s'achevaient presque toujours par l'infection et la mort de leur patient.
Commenter  J’apprécie          346
Toulouse était une ville de brique, ce qui en faisait une ville de chrétiens. La brique était la signature de la pauvreté, moins chère que la pierre, elle convenait aux ordres mendiants et elle avait la couleur du sang des Cathares qui avaient fait de la cité la capitale des Dominicains.
- J'aime bien cette ville, dit Robert.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas...on y sent la foi.
Ils avaient croisé des dizaines de pèlerins sur la route, plusieurs avec les pieds ensanglantés qui tachaient les chiffons enveloppant leurs chausses. Des campements de fortune se dressaient partout, le long de la vie principale, la voie Tolosana. Compostelle était au bout. Deux cents lieues de marche, si l'on arrivait à franchir les montagnes. Pour les vieux pèlerins, le bout s'appelait Toulouse. On les enterrait au cimetière Saint-Michel avec leur coquille sur le cœur. La rumeur disait que dans l'hôtel-Dieu qui les recueillait, les aidants leur parlaient en espagnol pour leur faire croire qu'ils avait atteint Saint-Jacques.
Commenter  J’apprécie          2911
Le voyage jusqu’à Marseille lui montra le fracas de la peste et le bien qu’elle laissait au monde : des routes désertes, des villages silencieux, des rues et des places délabrées. Les hommes s’évitaient et masquaient leurs visages. Les regards ne portaient que terreur et découragement. Chacun se recroquevillait derrière ses murs. L’horizon s’arrêtait aux barrières des maisons. La société des hommes avaient volé en éclats. Marchés, fêtes, cérémonies ne mélangeaient plus les humains. Les cœurs s’étaient fermés. Ne restaient plus que des clans qui défendaient leur famille et leur territoire. Les hommes ressemblaient aux loups que la pestilence avait rendus plus nombreux et plus redoutables. La famine et le froid avaient ramassé la faux que la maladie avait abandonnée et tuaient maintenant autant qu’elle. Les canailles vous égorgeaient pour un morceau de viande, personne n’osait plus voyager et Guillaume ne dut sa vie sauve qu’à son habit de dominicain, car les gens respectaient Dieu depuis qu’ils avaient vu le diable.
Commenter  J’apprécie          250
— On se gèle les couilles, frère Antonin.
— Ce ne sont pas des paroles de moine.
— Ce ne sont pas les paroles qui font le moine, mais la vérité… et la vérité c’est qu’on se gèle les couilles.
— Il fait effectivement très froid.
— « Effectivement très froid… » C’est sûr, on n’a pas été élevés dans les mêmes étables, frère Antonin. Maudit froid d’Anglais.
— Je dirais plutôt « froid de Franciscain ».
— Ces merdeux.
— Arrête, Robert.
— Heureusement, Dieu les protège pas plus que nous et donne bonne récompense à leurs leçons de misère. Hiver maudit mais juste, on dit qu’ils crèvent comme des sauterelles, sous la bénédiction de leur chère mère nature, cette cargne…
— Dépêche-toi, on est en retard.
— On serait pas en retard si t’avais pas traîné une heure aux latrines.
— Mes intestins.
— C’est vrai que la bouffe est dégueulasse.
— C’est toi qui la prépares…
— Je peux pas faire de miracles avec ce qu’on me donne. Je suis pas Jésus, Antonin, je peux pas changer le purin en liqueur de rose.
— Écoute… On nous appelle.
— Putain, le sacristain !

(Incipit)
Commenter  J’apprécie          226

Videos de Antoine Sénanque (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Antoine Sénanque
Payot - Marque Page - Antoine Sénanque - Croix de cendre
autres livres classés : inquisitionVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus



Lecteurs (792) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3179 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..