Souvent, en effet, plus on agit, plus on donne sur soi-même de prise à la fortune ; le plus sûr est de la mettre rarement à l'épreuve, ensuite de penser toujours à son inconstance, et de ne point compter sur sa loyauté.
Contentons nous d'éviter les gens moroses, qui déplorent toujours tout et ne manquent jamais une occasion de se plaindre. Un ami de nature inquiète qui geint à tout propos est l'ennemi de notre tranquillité.
Aux champs fertiles on n'impose pas le tribut d'une récolte, parce que leur fécondité, toujours mise à contribution, finirait par s'épuiser ; ainsi, un travail trop assidu éteint l'ardeur des esprits. Le repos et la distraction leur redonnent des forces. De la trop grande continuité de travaux, naissent l'épuisement et la langueur.
L'homme qui rit de ses semblables laisse du moins place à l'espérance ; et c'est sottement qu'on déplore ce qu'on désespère de jamais amender ; enfin, à tout bien considérer, il est d'une âme plus haute de ne pouvoir s'empêcher de rire, que de s'abandonner aux larmes.
On tolère plus facilement de ne pas avoir que de perdre.
Je t'ai montré, cher Sérénus, les moyens de conserver à l'âme sa tranquillité, de la lui rendre, de résister à la subtile contagion des vices. Sache bien toutefois qu'aucun de ces moyens n'est assez puissant pour préserver ce fragile trésor, si une active et continuelle vigilance n'entoure notre âme toujours prête à faillir.
Ainsi le sommeil est indispensable à la réparation des forces ; cependant le prolonger et le jour et la nuit serait une vraie mort. Grande est la différence entre relâcher et dissoudre.
Ces mouvements de l'âme n'ont rien de dangereux, rien qui puisse amener aucune perturbation, je le sais ; et pour vous exprimer, par une comparaison juste, le mal dont je me plains, ce n'est pas la tempête qui me tourmente, mais le mal de mer. Délivrez-moi donc de ce mal quel qu'il soit, et secourez le passager qui en souffre en vue du port.
Le mal qui nous tourmente ne vient pas des lieux que nous fréquentons mais de nous-mêmes.
Jamais la partie du monde qu'on te fermera, si grande soit-elle, ne sera aussi grande que celle qui te sera laissée.