Restée seule, Alexandra contemplait sa bibliothèque. Un souvenir par personne. Un livre. De toute sa collection, patiemment accumulée au fil des ans, elle ne pouvait en sauver qu'un. Lequel? Qui méritait le plus sa sauvegarde? Le grand classique, en si peu d'exemplaires? Son histoire préférée? Le plus coûteux? Celui auquel elle attachait le plus de valeur sentimentale? Nul ne devrait avoir à choisir.
Conrad et Marcus échangèrent un regard eberlué.
- Qu'est-ce qu'on vient de voir? demanda Conrad.
- Un gros machin, proposa Marcus.
- On devrait en parler?
Le vieux patrouilleur opina du chef et fondit vers le Cocon. Frénétique, il se jeta sur l'émetteur radio.
- On leur dit quoi?
Marcus semblait aussi désemparé que le jeune homme, ce dont Conrad se serait volontiers réjoui s'il n'était pas trop occupé à recruter tous ses neurones pour songer à un message.
- Euh... Gros machin?
- Va falloir être un peu plus précis que ça si on veut être pris au sérieux, marmonna Marcus.
Conrad soupira. Comment décrit-on quelque chose d'indescriptible?
(...) comme Asimov l'avait prédit en son temps, l'Homme avait bel et bien colonisé l'espace. La déception de ne trouver aucune autre forme de vie avait été balayée par l'enthousiasme : l'univers lui appartenait! De géante gazeuse en naine rocheuse, de terraformation en colonisation, l'être humain peuplait à présent le moindre caillou. Il avait même découvert les limites de l'univers. Et l'ennui, à nouveau, faute d'inconnu à explorer.
Mille ans plus tôt, le numérique avait gagné la bataille face à l'objet-livre. Ce dernier avait acquis le statut d'antiquité comme une autre, tout juste bonne à prouver la santé financière de son propriétaire. L'oeuvre humaine avait été systématiquement numérisée : pourquoi s'embêter avec des vieilleries odorantes?
Ces ouvrages fascinaient la jeune femme. Elle imaginait toutes les mains qui avaient tenu ces livres et se demandait à quoi ressemblait la vie de ces gens d'autrefois. Quel effet cela faisait-il de voir son monde réduit à une seule planète? De se demander si la vie existait ailleurs? De rêver à des paysages inconnus en sachant qu'on ne les contemplerait jamais?
T'as deux options: soit tu passes ta vie à courir après le boulot que tu veux et ça te rend malheureux, soit tu t'accomodes de celui que l'univers daigne te filer.
D'un noir obscur, ornée d'un léger chatoiement, sa peau se ponctuait de milliers de petites étoiles allant du blanc aveuglant, au bleu perçant en passant par un rouge doux. De chaque côté de sa tête ronde, ses yeux, deux amandes grises effilées, ressortaient par contraste. Si la baleine ne s'était pas mue, on l'aurait crue partie intégrante de la galaxie. Un camouflage parfait.