Pendant quatre-vingt-dix minutes, nous avons été spectateurs du même événement, mais nous n'avons rien partagé.
Que fait maman à cet instant ? A-t-elle regardé le match ? Pourquoi est-elle partie ?
J'ai basculé dans le vide.
J’ai enfilé mon maillot vert frappé du logo Manufrance en rentrant de l’école et je me suis enfermé dans ma chambre en attendant l’heure du coup d’envoi. Ce qui me contrarie le plus, c’est de devoir regarder le match avec Hugo. Hugo ne comprend rien au football. C’est un corps mou et grassouillet, sous une tignasse emmêlée qui, de dos, rappelle la chevelure d’Oswaldo Piazza, le défenseur central argentin de Lasse. Il s’agit bien là du seul aspect de la personnalité de ce porcelet qui me soit sympathique. S’il se présentait à moi toujours de dos, peut-être que je finirais par l’aimer un peu. Hugo est le fils de Virginie. Il s’est installé chez nous en même temps qu’elle. Personne ne m’a demandé mon avis. Notamment pas mon père. Tout de suite, la présence d’Hugo a suscité en moi un sentiment de rejet fait d’un mélange d’humiliation et de dégoût.
INCIPIT
Je m’appelle Nicolas Laroche.
Je suis né à Glasgow, le 12 mai 1976.
J’avais treize ans et demi.
Ce jour-là, l’Association Sportive de Saint-Étienne (ASSE) jouait la finale de la coupe d’Europe des clubs champions contre le Bayern Munich.
Avant-match
Virginie a préparé des sandwiches avec du pain de mie – au choix, beurre, gruyère et jambon, ou pâté de campagne. Nous allons dîner en regardant le match à la télévision. Virginie vit avec mon père depuis un peu plus d’un an. Mes amis parlent d’elle en disant « ta belle-mère » ou « ta belle-doche », mais moi je l’appelle « ma fausse-mère » ou « ma fausse-doche ». Par souci d’exactitude.
Papa a acheté L’Équipe ce matin pour la première fois de l’année. J’y ai lu que Saint-Étienne est le premier club français depuis le Stade de Reims de Raymond Kopa, en
1959, à parvenir en finale de la coupe d’Europe. Kopa, ce nom évoque pour moi un monde à la fois mystérieux et familier, comme une contrée lointaine dont on parle avec l’émotion d’un autochtone sans être vraiment capable de la situer sur une carte. Un peu comme «le général de Gaulle» ou «Elvis Presley».
Finalement, c'est toujours la même histoire lorsqu'il s'agit de la foi, ce n'est qu'à la fin qu'on sait si on a eu raison d'y croire ou pas.
Moi je l'ai remplacée le jour même par une équipe de football, les Verts de Saint-Etienne, Lasse. Par instinct de survie.
Le match va démarrer. Maman est partie et mon père l'a remplacée par une fausse doche exhibitionniste et obsédée par ses cheveux, avec en prime un fils obèse.
C'est cela que j'aime le plus dans le football: se diluer dans une foule qui vibre à l'unisson et se laisser emporter par ses mouvements démesurés.
je déteste être adolescent. je n’aime pas ce temps où tout nous semble définitif alors que tout est transitoire.
on m'a fait rencontrer un juge qui m'a demandé:" est ce que tu préfères vivre avec ton papa ou ta maman?
- ma maman
le juge a dit que j'irai vivre chez papa