Citations sur Le pigeon voyageur (10)
Parfois, avec mes yeux sombres et rapprochés, mon désir d’errance et ma peur des voyages, mon recours à la prière et ma crainte en même temps qu’elle ne soit exaucée, j’ai le sentiment d’être le seul Juif de la famille.
J'ai tellement de temps que je mourrai sûrement avant de l'avoir dépensé.
Elle distribuait ses pigeons comme des cadeaux, comme un verdict qui tombe, une lettre d'amour qui arrive ou l'annonce d'une mort prochaine.
Je ne suis pas aussi oisif que toi et Benyamin pouvez le croire maugréa Vot'père. J'ai beaucoup de rendez-vous, j'écris encore des articles, et chaque matin je vais sur Internet. Je reçois des mails de nombreux journaux médicaux. Je fais des recherches sur moi-même. Je constate que je suis toujours vivant. Les gens me citent.
Nous l'avons tous vu, poursuivit le vieil américain, eux aussi apparemment, car subitement toutes les armes se sont tues, les nôtres comme les leurs. Plus aucun canon ne tira, plus aucune grenade n'éclata, les bouches avaient cessé de crier et un tel silence régnait que nous pouvions entendre battre ses ailes dans l'air. L'espace d'un instant, tous les yeux et tous les doigts levés l'accompagnèrent dans la course que nous aurions tous voulu faire : rentrer à la maison.
Plus d'une fois, Zohar affirma qu'elle comptait allaiter pendant des années car cette avidité la conduisait au bord de la pâmoison. Elle aimait jusqu'à la dépendance ces moments-là, lorsque ses "nénés se vidaient et que les enfants s'emplissaient". Tout devenait flou, son corps s’allégeait, prêt à s'envoler, et ses jumeaux, pleins et lourds, devenaient comme des sacs de sable qui la clouaient au sol.
Après quelques kilomètres, près de l'usine à pompage, Myriam s'arrêta, appuyant son vélo contre le tronc d'un cyprès, puis elle sortit du panier le pigeon marqué de rouge.
(…)
Il regarda ses mains s'élever tandis qu'elle lâchait le pigeon, son corps se tendre, ses seins se dresser brusquement sous sa chemise grise de travail, son sourire monter inconsciemment sur ses lèvres. Le lâcher fut si doux que le pigeon ressemblait à un sourire qui se serait détaché et épanoui dans son corps et l'envol, si beau et si attirant que le Bébé se sentait honteux, sans comprendre pourquoi, de l'émotion qui l'étreignait.
Il y avait quelque chose de beau et de plaisant dans la manière dont ses mains avaient envoyé l'oiseau, geste qui traduisait à la fois le don de liberté, la transmission d'une force mais aussi un au revoir, l'espoir et le désir. Quiconque se trouvait là à ce moment en fut bouleversé.
J'aimais cette zone où finissait la rue et commençait la plage, insaisissable espace entre deux temps et deux lieux, là où s'achevait la ville et où débutait la plage, là où l'asphalte et le béton laissaient place au sable et à la mer. Une jambe encore sur la terre ferme du trottoir et l'autre dans la mollesse et la douceur du sable.
Nous nous retournâmes. Le visage de Tirzah vint se poser sur le mien, s'enfonça lentement. Je me mis à frissonner. Pas seulement de plaisir, mais de l'acuité de cette image. Certains appréhendent la réalité par leurs sens. Moi, les miens viennent s'interposer entre elle et la mémoire, chacun ne se cantonnant pas dans son domaine. Il arrive que le nez s'interpose entre un son et une image, que l'oreille sente, que l'oeil se souvienne des odeurs et que les doigts voient.