Je propose de me concentrer ici sur l'élément-clé en somme du récit : un superbe aspirateur ménager de la marque prestigieuse américaine "General Electric", expédié dans les années 1930 de Los Angeles en Californie par Yeshayahou Ben-Barak à son frère et belle-soeur vivant à Nahalal en Palestine/Israël.
S'il n'y a pas de photos dudit engin dans l'ouvrage de Meir Shalev, il y en a, en revanche, des destinataires du fameux cadeau : le sieur Aharon Ben-Barak et son épouse d'origine russe, Tonia Pekker, les grands-parents maternels de notre auteur.
Ces grands-parents avec leurs 5 enfants menaient une vie pauvre et dure dans une coopérative agricole, appelée moshav et comparable à un kibboutz, dans la vallée de Jezréel au nord du pays. Aussi bien que le grand-oncle d'Amérique, devenu riche et Sam, envoyait des sous à son frère aîné pour aider la famille. Des dollars qu'Aharon renvoya par retour du courrier à Sam. le grand-père du narrateur, enseignant et poète à ses heures, considérait son frangin comme un double traître : traître à l'idéal sioniste et socialiste !
L'expédition d'un aspirateur dernier cri était en fait une douce revanche d'un Sam évidemment offensé, qui spéculait sur la manie de propreté de sa belle-soeur et le fait que le renvoi d'un paquet aussi volumineux poserait un problème insurmontable à son frère dans son bled primitif.
Il est vrai que Sam avait insisté auprès d'un marchand juif, originaire comme lui de Makariv (actuellement en Ukraine), de lui fournir "dem grestn, shtarkstn shtoyb-zoyger" (le plus gros et plus lourd aspirateur, en Yiddish) qu'il avait.
Et, en effet, grand-mère Tonia l'avait "condamné à la réclusion à perpétuité dans la salle de bains verrouillée à double tour".
Lorsque ses filles Batya (la mère de l'auteur) et Batsheva lui demandaient de pouvoir utiliser le "svieper" (Yiddish pour sweeper), la réponse invariable de maman Tonia était : "Vous n'hériterez pas tant que je serai en vie".
Ma brève présentation de ce roman partiellement autobiographique de Meir Shalev prouve, j'espère, que l'auteur dispose d'un sens d'humour incontestable, mais sa fresque familiale ne s'arrête pas là, bien entendu.
C'est surtout une évocation sensible de la rude et pénible situation d'une famille de simples Juifs venant de l'Europe de l'Est pour s'établir comme petits colons laboureurs et cultivateurs en Terre promise à partir de 1928-1929, soit une vingtaine d'années avant la proclamation de l'État d'Israël par
David Ben Gourion et la naissance de Meir Shalev, le 29 juillet 1948, à Nahalal.
La protagoniste principale de ce conte de 239 pages, paru en Hébreu en 2009 et agréablement traduit en Français par Sylvie Cohen, est grand-mère Tonia Pekker, le pivot de cette sympathique tribu. Une femme de tête que je vous laisse découvrir.
Le nom de famille "Shalev" me fait toujours penser à un autre nom de famille juif à savoir "Singer" : des familles israéliennes provenant toutes les deux de l'Europe de l'Est et réputées pour leurs talents littéraires.
Parmi les Singer, il y a le Nobel
Isaac Bashevis Singer (1902-1991), sa soeur
Esther Kreitman (1891-1954) et son frère
Israel Joshua Singer (1893-1944).
Dans la famille Shalev, il y a Meir, son père le poète Yitzhak Shalev (1919-1992) et sa cousine la romancière
Zeruya Shalev, née au kibboutz Kimmeret en 1959 et auteure des best-sellers "
Ce qui reste de nos vies" en 2014 et "
Douleur" en 2017.
À ma connaissance, sa terrible grand-mère Tonia n'a rien publié,... faute de temps. le nettoyage, n'est-ce pas !