Citations sur Éloge du métèque (15)
Si l’argent est nécessaire à la survie, il est le pire ennemi de la liberté.
Rire est une politesse, une pudeur et une libération. C'est surtout la plus instantanée et directe des transgressions. La défaite des tyrans, la chute des empires germent dans la satire et la caricature, elles se propagent par le rire, s'installent dans l'intime, se muent en désirs, se transforment en contestation, finissent en liberté. (p. 126)
Métèque, ce mot accolé à tout ce qui n’est pas d’ici, à tout ce qui fait peur, à l’exotisme, à l’aventure, à la méfiance, à la traîtrise, au déracinement, ce mot tranquillement balancé aux visages trop burinés, aux mains calleuses, aux esprits libres, aux athées, aux juifs, aux Noirs, aux métis, aux Arabes, aux étrangers, aux vagabonds, aux clochards, est l’un des plus beaux mots du monde.
Le regard du métèque est inévitablement transgressif. Et c'est la principale raison pour laquelle il est si peu aimé. Le métèque capte toute la poussière sous le tapis, car sa curiosité lui fait soulever le tapis. Il n'a pas, lui, de secrets ensevelis dans les greniers des maisons de campagne, pas de réflexes de classe, pas de gêne vis-à-vis de l'Histoire, de la culture, de la langue ; il a, en effet, laissé tout cela derrière lui. Le métèque va au-delà des règles, de la morale commune, de l'ordre social.
Je suis une métèque, car personne ne me permettra jamais d’être autre chose. C’est peut-être le plus beau cadeau que m’a fait l’exil : devenir cet être difforme, mais libre.
Alors que Notre-Dame brûle, c'est la Esméralda qui flambe, et une certaine innocence qui m'a ^portée jusqu'ici. Je ne peux plus me mentir, je ne peux plus me cacher derrière Victor Hugo, je ne peux plus faire semblant de me croire une métèque heureuse en France, alors que ce pays me regarde encore de traviole tout en m'invitant à sa table - mais en me plaçant au plus près de la sortie. P.145
[Le métèque] est l'œil extérieur. C'est un regard dérangeant, un regard capable de voir ce que l'autochtone refuse, un regard qui remet en question. Le métèque ne connaît les codes qu'en surface, son esprit critique à vif, il remarque les dysfonctionnements, les malaises, les trop longs silences.
Il a fallu attendre un Américain, Robert Paxton, en 1973, pour que la réalité historique de la collaboration française avec l'Allemagne nazie et l'implication de Vichy dans la déportation des juifs français et étrangers soit enfin posée sur la table et étudiée. (p. 100)
C’est un mot qui me console, qui me rappelle que je flotte, que je ne possède que les racines que je me suis dessinées, que j’aurais beau m’accoler une nationalité, visible sur mes papiers d’identité, une langue parfaitement maîtrisée, une vie d’autochtone, je ne serais jamais qu’une métèque.
En France, il a fallu attendre Napoléon et sa réforme des cimetières parisiens, en juin 1804, pour que les métèques, les athées, les juifs et les comédiens puissent être enterrés auprès des « Français authentiques ». Jusque dans la mort, il fallait séparer le bon grain de l'ivraie. (P; 41)
Le sens de la beauté métèque se niche dans l’absence, celle du pays natal et de l’enfance, se nourrit de nostalgie triste et joyeuse, s’exprime dans une forme qui emprunte à l’incohérence, au rapport mystérieux que chaque métèque entretient avec son exil et ses masques, se compose d’influences opposées qui brouillent les limites.