Les aventures de Cluny Brown

Rassérénée par ces pensées, Cluny alla se coucher dans de meilleures dispositions. Non pas qu'elle fût résignée : ce n'était pas dans sa nature ; elle était plutôt dans un état d'expectative. Ce qu'elle désirait ardemment depuis si longtemps allait enfin se réaliser : elle verrait du nouveau.

Vous ne connaissez pas mon oncle Arn, dit Cluny d'un air sombre. Au moment précis où quelque chose s'annonce, il arrête tout. Sans doute parce qu'il est plombier. Il s'y prend avec moi comme s'il avait affaire à un tuyau crevé.

Pendant son séjour à Londres, Andrew, à son grand désespoir, se surprit à penser à Betty Cream autant qu'à la situation européenne. De ces deux préoccupations la jeune fille était la moins grave, et de loin ; elle hantait pourtant l'esprit du jeune homme.

Elle concentrait toutes ses pensées sur le malheureux pharmacien ; elle pensait d'autant plus à Mr Wilson qu'elle ne pouvait le voir, alors qu'elle voyait Mr Bellinski tous les jours..., lui faisait son lit, triait son linge, le regardait dîner. Titus Wilson avait l'attrait de l'inaccessible [...]

- [...] Comprenez-moi bien : nous ne méprisons pas le luxe. Le luxe est une belle chose, mais il ne saurait être habituel. [...] Le luxe ne devrait être qu'une détente après le travail, un festin après l'abstinence. Il est mauvais de s'y habituer.

- A vrai dire, je n'étais pas vraiment dans mon élément là-bas non plus. Je n'y suis nulle part, je crois bien.
- C'est comme moi, dit Mr Bellinski. La situation a ses avantages.
Devant le regard surpris de Cluny, il insista :
- Mais oui : si on n'est de nulle part, si on n'a de racines nulle part, on a le choix. Il suffit de parcourir la liste des pays du monde, comme on regarderait une liste de maisons à louer.Ce n'est pas tout à fait le cas pour moi, ajouta- t-il ; il y a plusieurs pays où la vie me serait bien difficile. Pour vous, au contraire, l'univers entier est à louer, j'imagine.

- On nous envoie quelqu'un. J'espère que j'en serai contente. Vingt ans, ça ne connaît rien du service. Cependant, comme je leur ai dit dans ma réponse : mieux vaut ne rien savoir que de savoir mal.

- Et Cluny ?
- Elle est couchée.
- Quoi, malade ?
- Non, continua Mr Porritt sans impatience. C'est à cause d'un article qu'elle a lu dans le journal : ils prétendent que ça repose les nerfs et que ça fortifie l'organisme de rester une journée au lit à manger des oranges.