– Le suffrage universel ? s’exclame Léonie, abasourdie. Tu veux dire, tous les citoyens ?
– Tous ! Même ceux qui ne possèdent ni biens ni avoirs ! Quel pays moderne que cette France ! C’est elle qui a mis au monde les plus grands penseurs et voilà qu’aujourd’hui…
Trop ému pour poursuivre, Simon s’abîme dans une profonde rêverie. Relevant la tête de son tricot, Flavie s’enquiert, les sourcils froncés :
– Est-ce que ça veut dire que toutes les femmes pourront voter ? Pas seulement les riches ?
– Euh…, fait Simon en relevant le journal devant son visage. Les articles n’en font pas mention…
1845.
Que lui reste t-il comme choix? Toutes les positions de clercs, de comptables et de rédacteurs sont réservées aux hommes. Quant à étudier la science médicale... aucun médecin n'accepterait une femme comme apprentie, et aucune école de médecin n'admettrait une femme comme élève.
[...] les femmes ne pourront jamais se comprendre ni s'épauler mutuellement tant que la richesse et les conventions sociales se placeront entre elles.
Si on avait plus de poésie dans nos vies, soupire Léonie, on aurait moins besoin de religion. 48
Pourquoi les hommes répugnent-ils autant non seulement à côtoyer professionnellement les femmes, mais à leur ouvrir les portes de tous les métiers ? Pourquoi leur est-il si crucial de croire que les deux sexes ont des rôles très différents à jouer dans la grande marche du monde ?
Léonie tourne les talons et Flavie se dresse sur son séant. Elle reste ainsi un moment, un peu étourdie, puis elle réalise qu’elle va enfin commencer son apprentissage. Si, depuis son anniversaire, un mois plus tôt, elle a accompagné sa mère chez quelques dames enceintes, elle n’a encore jamais vu une délivrance. La crainte sourde qui l’habitait depuis quelques jours se transforme en une véritable appréhension. Ce n’est pas pour rien qu’on éloigne normalement les enfants des femmes dans leurs douleurs, n’est-ce pas ? À cet instant précis, Flavie a une envie quasi irrésistible de se recoucher près de sa sœur et de s’abîmer dans le sommeil, pour retrouver le bonheur simple d’être une fillette sans soucis.
les hommes, nos seigneurs et maitres, se comportement envers les femmes avec une étrange cruauté. D'un côté, ils prétendent que les femmes leur sont supérieures et vantent leur perfection en des termes proprement extravagants. De l'autre , dans leur ateliers, leurs magasins ou leurs propres maisons, ils se transforment en tyrans à la tête d'une armée d'esclaves, offrant à la veuve ou à la jeune fille un salaire dérisoire.
Il faut être aveugle, monsieur, pour ne pas voir à quel point les femmes sont fortes. Chaque fois que j'accompagne une femme en couches, j'admire son énergie et sa puissance. Ce qui affaiblit les femmes c'est quand on les transforme en des poupées tout juste bonnes à se vêtir d'une belle robe et à s'asseoir au salon !