Après un rapide calcul mental, Léonie déclare avec satisfaction:
- Neuf heures de travail.
- N'est-ce pas un peu long? s'étonne Marie-Julienne, dont les yeux noirs en forme d'amande brillent d'excitation.
- La durée est extrêmement variable. Je vous montrerai des tableaux...
Flavie lance avec bonne humeur:
- Une première délivrance s'étire généralement, n'est-ce pas, Adeline?
Seules les deux-sages-femmes expérimentées constatent que, déjà toute rouge à cause de l'effort qu'elle vient de fournir, la jeune mère s'empourpre encore davantage.
C'est un luxe inouï de pouvoir s'acheter des tonnes de choses mais de choisir de s'en passer.
Mais ce qui saute au visage de la clientèle, c’est plutôt cette entorse à une coutume à laquelle les riches oisives tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Passe encore qu’une demoiselle s’adonne à quelque ouvrage utile, de préférence bénévole, mais une dame dont le mari devrait tirer une légitime fierté à lui assurer une existence sans souci aucun… Dans la belle société, une dame ne travaille pas, point à la ligne !
Pour un peu que tout le monde s’y mette, le dix-neuvième siècle sera celui du bonheur universel ! Jusqu’à présent, l’être humain n’a pas encore réussi à créer une société égalitaire ; au contraire, d’ignobles rapports de force existent entre les riches et les pauvres, entre les instruits et les ignorants, qui permettent aux premiers d’imposer leurs lois aux seconds. Si la marche du monde continue sur cette lancée, jamais on ne mettra un frein à l’exploitation de l’homme par l’homme !
Dans la belle société, une dame ne travaille pas, point à la ligne ! Ou alors, elle fait partie du menu peuple, et les bourgeoises répugnent maintenant à placer leur délicatesse entre des mains rougies et usées.
Il paraît que, sans les lumières de la religion catholique, les hommes, et surtout les femmes, sont incapables de gouverner leur vie et de décider de leurs actes.