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Critique de Woland


Woland
29 septembre 2017
Quo vadis. Powieść z czasów Neron
Traduction : Bronislaw Kozakiewicz & Jean-Luc de Janasz, revue par Maria Zurowska & Yves Avril
Responsables de Publication : Michel Zink & Michel Jarrety
Introduction & Notes : Yves Avril

ISBN : 9782253160779

Cet ouvrage, j'ai dû le lire pour la première fois il y a quarante-deux ans , dans la version, alors expurgée à l'intention de la jeunesse, qu'en donnait "La Revue Blanche." J'avoue avoir de beaucoup préféré cette traduction, désormais revue et ici donnée dans son texte intégral. J'ajouterai que je regrette par contre d'avoir relu ce merveilleux roman dans la sinistre époque que nous traversons. Mais peut-être ai-je tort : telle quelle, cette édition du "Livre de Poche" conforte, raffermit le désir de retrouver une religion que ne pratiquent plus depuis longtemps les successeurs de Pierre et aussi de se battre pour elle, fût-on, comme je le suis et tiens à le rester, un petit mouton noir sarcastique et mal-pensant par essence. ;o)

"Quo Vadis ?" est un livre catho," me disait récemment, avec un incommensurable mépris, quelqu'un qui ne l'avait jamais lu. Dans la mesure où ce roman traite effectivement des tout débuts du christianisme et des persécutions entreprises par Rome contre cette nouvelle religion qui ne voulait pas s'incliner devant les autres dieux (rappelons que, sur ce plan, les Romains étaient plutôt tolérants, au point d'emprunter des idoles aux peuples conquis et de les placer dans leurs propres temples après les avoir "romanisées"), cette définition est exacte, en tous cas sur le fond. Mais cela s'arrête là. Si propagande chrétienne il y eut de la part de l'auteur (après tout, Sienkiewicz était polonais, c'est-à-dire fils de cette nation qui, après tant de partages entre tant de grands pays - rappelez-vous la honteuse trahison des Européens envers elle dans les années trente - vient de rappeler M. Macron à la raison sur la question de la nécessité des frontières et du souverainisme), elle a au moins le mérite, dans cette version fluide et rajeunie par les soins de Maria Zurowska et Yves Avril, de ne sombrer ni dans l'excès, ni dans le gnan-gantisme, deux phénomènes que j'abhorre quand il est question de littérature et de discours. ;o(

Ergo, si vous prenez la peine de lire ou de relire "Quo Vadis ?" en faisant un effort pour garder la tête libre des critiques négatives d'autrui ainsi que de vos a-priori personnels, vous constaterez qu'il s'agit là tout d'abord d'un extraordinaire roman historique. Si Sienkiewicz donne la victoire finale au Christianisme (victoire inscrite d'ailleurs dans L Histoire), il n'en admire pas moins la grandeur et les fastes de la civilisation romaine et expose, sans aucune haine, avec logique, un fait qu'on reproche souvent aux "païens" : la morale qu'ils suivaient (ou tentaient de suivre) ne croyait plus depuis belle lurette à la puissance de leurs propres dieux, s'était rejetée vers les grands philosophes grecs et, impressionnée par la civilisation héllène, effectivement l'une des plus prestigieuse de notre héritage , manifestait un faible marqué pour la beauté et la force. Pareilles tendances ne pouvaient amener les hommes de cette époque qu'à laisser éclater l'amour du sang qui sommeille en nous et faisaient la part belle aux psychopathes et aux sadiques.

Notons d'ailleurs au passage que, par la suite, si le Christianisme a évolué, et pas toujours en bien, ni les psychopathes, ni les sadiques n'ont disparu de l'univers. Cela, bien sûr, Sienkiewicz, qui obtint le Prix Nobel en 1905, ne se permet pas de l'écrire. Mais reconnaissons-lui quant à nous l'excuse que, né en 1846, il allait mourir en pleine Grande guerre et rater un nombre de choses très intéressantes sur le Mal se déchaînant au XXème siècle - et en ce début du XXIème.

L'étincelante distribution de "Quo Vadis ?" recèle d'ailleurs un certain nombre de grands rôles qui démontrent l'ambiguïté de la pensée de l'auteur. Disons les choses telles qu'elles sont, on ne se désintéresse pas vraiment de Vinicius et de ses amours contrariées pour Lygie la Chrétienne tant que le tribun romain conserve quelque chose de sauvage et de martial. Cette force de caractère, on l'admire encore quand on la voit se heurter tout d'abord à sa Foi montante et même quand, l'ayant enfin acceptée, il demeure convaincu que le Christ sauvera des arènes et Lygie et Ursus. Entre ce "mouton noir" (ma foi, oui, j'y tiens car c'est un révolté !) et le Dieu qui s'intéresse à sa révolte, il existe une puissance dont le fond est similaire. Pour s'imposer, c'est d'hommes et de femmes comme Vinicius dont la nouvelle religion a besoin. Leur caractère guerrier (même si le Christ a prêché la douceur), leur esprit stratégique, leur bravoure aussi, leur fierté qui, dès lors que le combat est achevé, admet de s'humilier devant la Divinité, les rend précieux car, en parallèle, tout cela s'accompagne d'un sens inné des responsabilités. Humains imparfaits, certes, ils le sont, mais ils savent le reconnaître et ne demandent pas mieux de s'améliorer. Néanmoins, des personnages comme Vinicius font penser à cet Hindou né guerrier, c'est-à-dire appartenant à la caste des Kshatriya ; un jour, non par lâcheté mais par inquiétude sur son devenir spirituel, il va consulter un brahmane car il se demande s'il accomplit vraiment son devoir en tuant l'ennemi ; et le brahmane de lui répondre avec sagesse : "Si tu le fais sans haine personnelle, uniquement parce que tu accomplis ton devoir de Kshatriya, tu n'as rien à redouter des dieux. Fais ton devoir et agis selon ta conscience : être un guerrier n'empêche pas d'éprouver de la pitié."

Toutefois, quand Vinicius, Lygie et Ursus sont saufs et prêts à répandre la Bonne parole en Sicile, il est vrai que le lecteur se sent un peu las.

Non, les véritables "héros", si l'on peut dire, ce sont tout d'abord Pétrone et Néron (oui, Néron, qui est loin, tant dans la réalité que dans les romans, d'être un personnage simple) et, immédiatement après eux, Crispus, Chrétien et martyr certes mais qui symbolise ce que le Christianisme, en se mêlant du temporel, deviendra pour certains (et l'est encore de nos jours, y compris et avant tout, d'ailleurs, dans la Ville Eternelle) et Chélon, le Grec traître et délateur qui finira éclairé par la Grâce. Tous tant qu'ils sont, ces personnages vont subir eux aussi une mutation, liée plus ou moins directement à la montée en puissance de la religion nouvelle.

Au début, Petrone, "Elegantiarum Arbiter" ("L'Arbitre des Elégances") et auteur du "Satyricon" qu'il vient tout juste de publier plus ou moins anonymement dans les premières pages, apparaît comme un partisan absolu du fameux "Carpe Diem." D'une intelligence aiguë, extrêmement cultivé, le ton volontiers incisif et le sens de l'ironie (une ironie qui ne rate jamais sa cible) toujours en éveil, il privilégie le culte de la Beauté dans tout ce qu'il fait, dit et achète. On notera cependant que, toutes les fois qu'il a occupé une charge importante, cet homme qui se définit comme un paresseux-né s'est montré excellent gestionnaire et guerrier. Raffiné oui mais en rien efféminé, il aime par-dessus tout les joutes verbales. Oncle de Vinicius, il porte au jeune homme une affection sincère mais dans laquelle certains dénoteront à coup sûr une pointe d'homosexualité. Aussi convient-il de rappeler que Pétrone aimait tendrement sa soeur, mère justement de Vinicius.

Il est amusant de voir combien le Christ l'agace alors que, finalement, entre "Carpe Diem" et "A chaque jour suffit sa peine", il n'y a pas grande différence. La morale de Pétrone étant de vivre et de laisser vivre, il respecte l'évolution de son neveu (même si elle lui porte parfois sur les nerfs en lui rappelant la gravité de l'existence) et, en sa qualité de favori de Néron, il fait tout son possible pour aider le jeune homme à contrer les plans diaboliques de l'Empereur envers les Chrétiens. Sa fin, aux côtés d'Eunice, "qui l'aura vraiment aimé", comme il l'admet, est digne de l'élégance, du courage et de la fierté de ce patricien qui, jamais, ne trembla ni ne s'humilia devant César. Simplement, il sait que le temps est venu, pour lui comme pour l'époque, de "passer à autre chose" et cette "autre chose" ne l'intéresse pas. Admirablement interprété au cinéma par un James Mason quasi impérial, Pétrone, même dans la coulisse, est peut-être le seul véritable héros de "Quoi Vadis ?"

Au fils d'Agrippine la Jeune, qui se proposa, dit-on, à lui, pour conserver le pouvoir, à l'Empereur déjà étouffé de graisse et qui, après la mort de Sénèque et de Pétrone, ne se retiendra plus du tout sur la pente savonneuse du Mal, revient, semble-t-il à jamais et dans L Histoire, le rôle d'anti-héros. Fils de Lucius Domitius Ahenobarbus et d'Agrippine, il doit à la parenté de celle-ci avec Caligula (dont elle était la soeur et fut probablement la maîtresse) ainsi qu'au remariage de sa mère avec son oncle, Claude, qu'elle fit empoisonner après avoir évincé (par un autre assassinat) l'héritier légitime, Britannicus, d'avoir pu coiffer la couronne impériale. Solidement éduqué par le grand Sénèque, Néron était loin d'être sot. On le dit fou mais Sienkiewicz ne l'affirme pas. Que Néron ait mis sa folie en scène est une autre histoire. Quoi qu'il en soit, avec l'enfance chaotique qui fut la sienne, ses ancêtres maternels, la violence innée de son père, et les menées d'Agrippine elle-même, mère abusive sur tous les plans, Néron, qu'on le veuille ou non, avait de quoi "mal tourner." Divinisé comme tous les Empereurs de son vivant même, il ne semble avoir eu que trois passions vraiment sincères : la poésie, la musique et le théâtre. Si, selon ce fin connaisseur qu'était Pétrone, nombre de ses vers étaient loin d'être mauvais, il était par contre tout aussi loin de prétendre au génie qu'il espérait. Seulement, comme il était César et Dieu sur terre, les flagorneurs ne cessaient de lui répéter qu'il était le meilleur ... Y croyait-il ? Cela est une autre histoire qu'il emporta avec lui dans la Mort. Mort qu'il n'eut pas le courage de se donner et que lui infligea Phaon, l'un de ses affranchis, qui, lui-même, se suicida sur le corps de son empereur.

Dans le roman de Sienkiewicz, il est bon de lire et de relire les échanges avec Néron et les avis qu'il donne parfois et qui sont "bruts de décoffrage", c'est-à-dire quand il ne joue pas son rôle d'Empereur - ce qui est rare. On y découvre une finesse et un mépris des "augustans" (ses courtisans) qui incitent à se pencher sur cette énigme de l'Histoire bien qu'on ne puisse s'empêcher de faire la grimace devant son sadisme indéniable. Rappelons toutefois qu'on ne prête qu'aux riches et que les histoires colportées sur la cruauté de Néron ne sont peut-être pas toutes véridiques ...

Crispus, Chrétien chez lequel se réfugie Lygie au début de l'ouvrage, est d'abord assez sympathique avant de laisser percer ces traits de fanatique qui valent bien, dans le camp adverse, ceux d'un Tigellin. Jusque dans l'arène, il invite ses coreligionnaires à redouter la justice de Dieu. On sait ce que cela donnera plus tard dans notre religion : tout d'abord justement, même si l'on n'en est pas sûr, ceux qui prêtèrent à Néron des actes qu'il n'avait peut-être pas commis, puis, bien plus tard, l'Inquisition et ses tortures, sans oublier le calvinisme froid et implacable ... En dépit de la douceur que l'auteur lui accorde dans ses dernières paroles, Crispus reste antipathique. (Enfin, c'est mon avis. ;o) )

Quant à Chélon, il aurait pu être un traître sans éclat, un délateur sans prestige. Mais ce Grec qui a passé sa vie entre pauvreté et filouteries diverses, point sot et qui connaît bien des choses, possède une âme tourmentée qu'il s'évertue d'ignorer depuis des années et des années. Par vengeance contre Vinicius, il dénonce les Chrétiens comme incendiaires de Rome mais, devant l'horreur des supplices infligés et bien que devenu "augustans", il se révolte, pointe en public Néron comme le seul responsable et confesse appartenir désormais à la foi suppliciée. Ira-t-on trop loin en croyant voir en ce Chélon Chélonidès intelligent, cultivé et doué une sorte de "double" de Néron, chargé de nous rappeler que, aux yeux du Christ, le Pardon est toujours possible ? En d'autres termes, et bien que l'auteur se garde soigneusement de poser la question qui en fâcherait plus d'un, Dieu a-t-Il pardonné à Néron ? Et, au-delà de Néron, a-t-Il pardonné à Judas sans qui le Christ n'eût pu accomplir Son destin ? ...

Oui, "Quoi Vadis ?" est un roman subtil, bien plus subtil que certains ont voulu le présenter. Et sans doute est-il bon de le lire dans cette traduction corrigée et intégrale, qui rend au texte toute sa puissance initiale A notre époque et pour les néophytes, cela permet de revenir en douceur aux valeurs du Christianisme primitif qui prêche évidemment la Bonté et l'Amour du Prochain mais qui n'empêche pas Ursus de combattre et de tuer pour défendre Lygie. Une oeuvre complexe à plus d'un titre, qui se déroule dans un monde complexe, qui parut à une époque déjà très complexe et qui nous revient aujourd'hui, alors que nous avons l'impression, un peu comme sous Néron, que le monde marche sur la tête. Un livre à lire parce que, au-delà de toute religion, il jaillit, éblouissant, comme un hymne d'espoir en l'Homme. ;o)
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