Leçon inaugurale de Michel Zink prononcée le 24 mars 1995.
Michel Zink fut professeur du Collège de France, titulaire de la chaire Littératures de la France médiévale.
Dans les lettres médiévales se cristallisent toutes les associations entre le passé et la littérature, tous les indices qu'un lien essentiel unit la notion de littérature au sentiment du passé. La curiosité qu'a éveillée la littérature du Moyen Âge depuis sa redécouverte à l'aube du romantisme suppose de telles associations. Les formes de cette littérature elle-même recèlent de tels indices. Ils invitent à embrasser d'un même regard l'intérêt de l'époque moderne pour le passé médiéval et les signes du passé dont le Moyen Âge marque sa propre littérature. Bien plus, ils invitent à chercher dans la relation avec le passé un critère de définition de la littérature, tâche tout particulièrement nécessaire s'agissant d'une époque où le mot ne s'entend pas dans son acception moderne et où l'existence même de la notion correspondante n'est pas assurée.
Texte intégral de la leçon inaugurale :
https://books.openedition.org/cdf/1114
Retrouvez ses enseignements :
https://www.college-de-france.fr/fr/chaire/michel-zink-litteratures-de-la-france-medievale-statutory-chair
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La littérature du Moyen Age ne se laisse pas aborder à travers les poncifs des autres époques, y compris de la nôtre, mais elle n’est pas non plus aussi rebutante ni aussi glacée qu’on a voulu ou qu’on pourrait le croire. L’épanchement et la peinture de soi, comme la profondeur du mystère et la séduction du récit, ne lui sont nullement étrangers, loin de là. Mais elle poursuit un équilibre qui lui est propre entre la sensibilité et l’intellect, entre la représentation du monde et l’imaginaire, entre l’imitation et le renouvellement.
Les règles de l’amour ont changé, mais son angoisse et sa folie demeurent.
Pour Chrétien [de Troyes], inventer une histoire, ce n'est pas cela, mentir. Mentir, c'est feindre un sentiment que l'on n'éprouve pas, c'est tricher avec soi-même.
(dans "Seul, comme un chevalier errant doit l'être")
Le succès, l'obtention de ce que l'on convoite ne sont rien si l'on n'en mesure pas le prix. Il est facile de tomber amoureux et de se marier. Il est difficile de prendre conscience de l'engagement que l'on prend et de ce qu'il implique.
(dans "L'amour conjugal est-il romanesque ?" )
Le cor de Roland à Roncevaux est une des images les plus fortes de notre imaginaire national. Un emblème de l'héroïsme et, plus encore, celui d'un sacrifice dont le sens dépasse la question de son utilité immédiate. Un emblème du sursaut victorieux quand tout paraît perdu et alors même qu'on ne peut plus espérer sauver sa propre vie. Un emblème de la France elle-même, tant cette situation s'est souvent répétée au cours de son histoire.
(dans " "Roland a mis l'olifant à sa bouche" ")
Heroic fantasy, films, séries télévisées, jusqu'à Harry Potter et son monde de magie préscientifique sous les ogives gothiques d'un collège anglais, peuvent nous entraîner dans un univers à coloration médiévale où nous nous évadons délicieusement.
(dans "Avant-propos")
La lèpre était une maladie honteuse, non seulement parce qu'elle frappait d'exclusion celui qui en était atteint, parce qu'elle le défigurait et le condamnait à pourrir tout vivant, mais aussi parce que s'y attachait le soupçon d'une punition du Ciel pour une faute commise soit par le lépreux, soit par ses parents, faute que l'on soupçonnait d'être de nature sexuelle : on disait que les enfants conçus pendant les règles couraient le risque d'être un jour lépreux ; on disait que les lépreux avaient un appétit sexuel insatiable.
(dans "Le poète lépreux")
Après tout, n'est-il pas rassurant qu'en poésie au moins, chaque sexe soit parfois capable, quoi qu'on en dise, de se mettre à la place de l'autre ?
C'était pendant tout le Moyen Âge, et déjà avant lui, et encore après lui.
(dans "Chansons de femmes")
Alors même qu’il est plus que jamais un genre aristocratique, produit des cours princières et consommé par elles, le roman de cette époque [15e siècle], en tant qu’il est un roman historique et un roman gratifiant, est l’ancêtre du roman « populaire », c’est-à-dire s’adressant à un public soit socialement indifférencié, soit constitué de ceux qui viennent d’accéder à la lecture et à qui échappe la mise en forme de la culture […]. Définir la fascination exercée par le roman de la fin du Moyen Age comme celle du roman historique, c’est préparer la compréhension de la fascination exercée du XVIe siècle à nos jours par le roman, comme la littérature popularisante ou comme infra-littérature.
Rien de ce que le Moyen Âge exprime, rien de ce que nous croyons en comprendre, rien de ce qui nous touche ou nous rebute en lui, qui ne doive être mis en doute, vérifié, éprouvé. Sa littérature ne veut pas dire ce que nous pensions, elle ne veut pas toucher là où à la première lecture elle nous touche, elle fourmille d'allusions qui nous échappent.
(dans "Avant-propos")