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Critique de laulautte


Seppenko Monogatari est une saga japonaise dans laquelle Léa Silhol marie tous les genres de l'imaginaire et entrelace la lecture des deux premiers tomes, Masshiro Ni, recueil de nouvelles et novellas, et Hanami Sonata, roman scindé en deux âmes.
Deux autres tomes composent ce cycle : Gridlock Coda - Rōmaji Horizon et Hangul Express – et bouclent le jeu des transmigrations des âmes débuté dans la vaste Trame de l'auteur dans les branches du Vertigen (La Sève et le Givre, et le cycle de trois tomes de la Glace et la Nuit) et de le Dit de Frontier (Musiques de la frontière et Possession Point).

Dans ce conte merveilleux d'encres et de neige, de sang et de flocons, la Trame se dévoile. Les échos se répondent, les zones d'ombres s'éclaircissent, en s'incarnant dans la légende traditionnelle de la Yuki Onna, la Femme de Neige, personnification de l'Hiver qui marque et traque le Seppenko jusqu'aux confins de la Matrice : le Grid…

Seppen Izôkage and ko (ses descendants) sont également frappés d'une geis, l'âme de chacun est coupée en une deuxième âme soeur. Les amoureux que le destin promet l'un à l'autre se reconnaissent immanquablement jusqu'à ce que la mort les sépare… et les réunit dans l'éternel cycle des réincarnations.
Cette merveilleuse injonction est une malédiction pour nombre des membres de cette éminente famille japonaise, composée sur chaque génération de Trésors Nationaux Vivants, garants des arts traditionnels du kōdō, de la forge de sabres, de la céramique (Mashikoyaki et Hagi-yaki), ou encore du manga et de la photographie. Un malheur inéluctable pour ces êtres d'exception, incarnation idéale de toutes les valeurs et règles du parfait samouraï, en perpétuelle lutte entre leur devoir social : le giri, et leur sentiment humain : le ninjō. Un déchirement entre deux formes de destructions différentes, car sous leur martiale impassibilité, les Izôkage ont des passions bien trop grandes pour le monde. Quelle que soit l'époque, du moyen-âge à la rébellion de Satsuma, de la première guerre mondiale au XXIème siècle, le Seppenko vit chaque jour selon les antiques concepts de perfection du Bushidō parfois incompatibles avec sa véritable essence, celle non seulement de trouver mais de saisir sa moitié dans l'éternelle réincarnation de ses âmes à travers les âges.

Des feuilles de métaux précieux colmatent les failles d'une âme brisée selon la méthode du Kintsugi. Ajointer ses morceaux sans en masquer la ligne de bris, la surligner au contraire. Conserver une trace de son passé, sans pleurer sur une perte ou un dommage. La réinterpréter et la rendre plus précieuse. Mettre en valeur sa fragilité et son impermanence. Accepter que certaines blessures ne guérissent pas. Devenir sa propre oeuvre d'art. Rechercher l'accomplissement de soi pour soi. Vouloir l'Art dans cette pureté et cette intransigeance qui meurtrissent l'âme d'un auteur, sans compromission, sans cette trahison qui mène tout samouraï au seppuku.

Des photos couleurs (du jardin japonais de l'auteure) insérées, avec d'autres illustrations (de Dorian Machecourt), entre les pages noires et blanches, s'obstinent à se soulever par les coins révélant une autre nature que celle de l'ornement. Objectif à hauteur du visage, l'oeil se dédouble. Clac. Figer l'image pour épingler l'impermanent à l'éternité jusqu'à ce que le cliché – parfois flou, la vérité, tout comme les fays, n'est pas photographiable – devienne tout blanc (Masshiro Ni), la couleur du deuil. La décoloration de l'existence, cet art éphémère.

L'Hanami. Contempler la danse des flocons comme celle chorégraphiée par les pétales se séparant des corolles des sakura. Apprécier l'envol de la fragilité et sa lente chute pour colorer de blanc le monde et renouveler la vie dans l'impermanence des saisons. Accepter la fin en état de parfaite sérénité. La fleur et le flocon ne vivent pas ce bref espace entre leur naissance et leur chute mais dans l'éternité, tout comme les Fays et les Izôkage…

Léa Silhol entrelace tous les genres de l'imaginaire et toutes les formes littéraires pour tisser avec un talent remarquable l'essence même de l'existence. Ses histoires d'Amour sont certes inoubliables, très cinématographiques et photogéniques, mais son focus sur le monde d'aujourd'hui et notre société occidentale amène son lot de réflexions d'autant plus intéressantes et pertinentes. Cependant, point de critique acerbe, pas de jugement. A chacun sa maya bouddhique. Elle vit son Art pleinement et sincèrement, sans compromission. Elle tombe le masque, une véritable Fay guerrière dans le cycle le Dit de Frontier, un honorable samouraï dans le Seppenko Monogatari…

Seppenko Monogatari est un hymne à la culture et au folklore japonais chers à l'auteure, à ses arts traditionnels qui font échos à la propre qualité d'artiste de l'auteure et à son rapport avec son lectorat.
Masshiro Ni et Hanami Sonata sont deux oeuvres passionnantes qui vous jettent coeur et âme dans le Grid, plugués par la chevelure à la recherche de Néo, heu Neko…
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