Une nouvelle nouvelle de Gabriel Allon : L'ordre

— L’émergence d’un homme comme Saviano était inévitable. Notre peuple a perdu foi en des idées fantaisistes comme la démocratie libérale, l’Union européenne ou l’OTAN. On ne peut pas vraiment l’en blâmer. Entre la mondialisation et l’automatisation, la plupart des jeunes Italiens ne peuvent pas se lancer dans une carrière digne de ce nom. S’ils veulent un job bien payé, il faut qu’ils partent en Grande-Bretagne. Et s’ils restent ici, ajouta le général en jetant un coup d’œil au barman, c’est pour servir le café à des touristes.

L’inimaginable peut se produire, ne l’oublie jamais. Mais ne gâchons pas la soirée avec ces funestes paroles. Je veux profiter de la compagnie de mes petits-enfants.

Un nombre croissant d’Européens de souche voyaient en l’islam une menace existentielle pour leur religion et leur identité culturelle. Leur colère et leur fiel, autrefois privés, coulaient aujourd’hui dans les veines de l’Internet et se répandaient comme un virus. Les agressions sur les musulmans avaient connu une hausse dramatique, tout comme les actes de violence et de vandalisme à l’encontre des Juifs. L’antisémitisme en Europe avait atteint un niveau inégalé depuis la Seconde Guerre mondiale.

Il avait surtout besoin de repos.
Malheureusement, la distraction n’avait rien de naturel, chez lui. C’était un homme d’immense talent mais de peu de hobbies. Il ne skiait pas, ne plongeait pas et n’avait jamais tenu ni un club de golf, ni une raquette de tennis, sauf pour s’en servir comme armes.

Sa Sainteté portait le poids de l’Église sur ses épaules, mais dans la mort il était plus léger qu’une plume. Comme je n’arrivais pas à vous joindre, j’ai convoqué le secrétaire d’État, qui a à son tour appelé les cardinaux Navarro et Francona. Puis j’ai fait venir le dottore Gallo, qui a prononcé le décès. Infarctus sévère. Son deuxième, n’est-ce pas ? Ou était-ce le troisième ?

Ce n’était pas une façon de voyager, pour un soldat du Christ. Il profitait sans doute de son dernier tour dans Rome en limousine avec chauffeur. Il faisait peu ou prou office de directeur de cabinet de l’Église catholique romaine depuis près de vingt ans. Les choses n’avaient pas toujours été faciles – entre l’attaque terroriste sur la basilique Saint-Pierre, le scandale des antiquités impliquant les musées du Vatican et le fléau de prêtres pédophiles –, mais Donati avait chéri chaque minute de son sacerdoce. Et maintenant, en un clin d’œil, tout était terminé. Il redevenait un simple prêtre. Il ne s’était jamais senti si seul.

Encore les sempiternelles élucubrations de Saviano contre les immigrants arabes et africains qui détruisaient le pays, comme si les Italiens n’en étaient pas capables eux-mêmes. Saviano harcelait le Vatican depuis des mois pour obtenir une audience privée avec le Saint-Père. Donati la lui avait refusée avec un plaisir non dissimulé.

Grand et mince, pourvu d’une épaisse toison brune et de traits hollywoodiens, il avait récemment célébré son soixante-troisième anniversaire. Les années semblaient n’avoir aucune prise sur son physique avantageux. Vanity Fair venait de le rebaptiser « le séduisant Luigi ». L’article lui avait causé un profond embarras dans le monde médisant de la Curie.