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Critique de morganex


Maigret est une nouvelle fois à deux doigts de la retraite. Il refuse une très honorifique promotion au grade de directeur général de la PJ. Rien de neuf en somme ; si ce n'est que le commissaire vit ses dernières heures de héros de papier et que Simenon ne le sait pas encore. Tout au plus s'en doute t'il .. !

En 1972, Georges Simenon fait paraitre « Maigret et Monsieur Charles » aux Presses de la Cité. Ce sera le dernier opus consacré au commissaire à la pipe. Ainsi se terminent 4 décennies (et l'amorce d'une 5ème) consacrées à un personnage mythique. Même si je suis encore loin d'avoir tout lu (il y a quand même 75 romans et recueils), me dire qu'au-delà de l'excipit le personnage ne reviendrait plus, j'ai ressenti l'étonnante et injustifiée nécessité d'en faire le deuil.

Mais les héros ne meurent jamais …

Rien dans le corps du texte ne laisse présager la fin de la série quand, à parution, « Monsieur Charles » n'est, après tout, qu'un Maigret comme un autre. Il y en eut tant avant. Il n'y en aura pourtant plus après. Que s'est t'il passé ? Simenon n'a pas construit le départ de Maigret, il l'a subi. L'auteur l'ignore lui-même, mais, en 1972, les Maigret et « Romans durs » en maturations, au-delà de prémisses scénaristiques abouties, ne seront jamais rédigés par manque, semble t'il, d'enthousiasme. Simenon, dès lors, n'écrira plus de romans.

« J'ai septante ans, c'est fini, je tue Maigret » Simenon au cours d'une interview donnée à Paris Match (1972)

Tout au plus, à titre d'indice, aurait t'on pu mettre en avant une certaine facilité d'écriture en écho d'un ras-le-bol à l'encontre de son héros, l'explication se révèle bien vite trompeuse. La mainmise des dialogues sur la narration est totale, elle semble tirer à la ligne. Les nécessités descriptives sont traitées à minima. Tout va vite, comme pour se débarrasser d'une corvée. La lecture prend à peine deux heures pleines. La rédaction prit 7 jours seulement. Mais le résultat est si brillant ; que reprocher à l'auteur ? Tout est fluide, aisé, simplement utile et nécessaire, efficace. Une nouvelle fois, et peut-être plus qu'avant, Simenon met en avant son art de l'essentiel, dégraisse jusqu'à l'os. du grand art.

Rien d'annonciateur, tout autant, dans les thématiques abordées ; si ce n'est celle de la double identité, chère à Simenon. Une « autre » vie, incognito, échapper à certains carcans pesants de l'existence quotidienne.

Ici Simenon désireux de passer à autre chose, de se dédouaner de son alter ego.

Ici, Sabin-Levesque, riche et réputé notaire parisien qui, sous le pseudo de Monsieur Charles, s'encanaille dans les cabarets huppés des Champs-Elysées, lève les entraineuses pour une nuit ou deux, voire une pleine semaine, le temps d'une passade (presque romantique) avant de rentrer dans un rang matrimonial bien fade, monotone. Se rêver un autre monde, moins laid, plus brillant.

Simenon et Maigret plongent leurs regards dans la double vie du notaire, dans son couple détruit, dans son passé de bon-vivant, dans les raisons possibles de sa disparition et bientôt de son assassinat. Auteur et héros enquêtent par l'autre bout de la lorgnette, via le regard mauvais et les témoignages à charge de l'épouse. Un mari que chacun appréciait, une épouse que tout le monde déteste. Un lourd et lent face à face tout en dialogues s'ébauche entre Maigret et une femme délaissée, toute en vindicte et ressentiments, une alcoolique que le commissaire prend tout autant en grippe qu'en pitié. Diable de duo entre haine et espoir. Etonnante situation que le lecteur n'oubliera pas.

Simenon nous mène de nuit « Paris by night », d'un cabaret et d'une entraineuse à l'autre, d'un cognac au suivant, d'un patron prudent à un serveur bavard, d'une vieille marchande de fleurs qui retrouve en Maigret l'inspecteur qui l'arrêta jadis sur le trottoir.

La poignée de thèmes brassés, le couple en approche progressive et inéluctable d'autodestruction totale, la solitude et la dépression, l'alcoolisme blanc, l'arrivisme en échec, l'orgueil incontrôlable sont des classiques de « l'homme nu ». de Simenon. L'auteur taille un portrait à la serpe d'une femme qui s'est perdue elle-même entre ambitions rentrées et espoirs vains.

Maigret, compagnon de tant d'enquêtes, s'évapore dans les derniers mots d'un épilogue qui, une fois de plus, rend bien noire la nature humaine.

Clap de fin.

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