Pas besoin d’être architecte pour comprendre qu’à cet endroit les pierres déchaussées étaient les seuls vestiges du mur de soutènement. Chaque mouvement faisait glisser ses pieds dans la poussière. Dans son dos, la dame fluette essayait de l’aider au mieux en la retenant par son tee-shirt. Une lumière d’apocalypse les baignait, rouge et orange comme les enfers. La chaleur devenait intenable. Gabrielle tenta de réconforter tout le monde. Parler la rassurait.
Indépendamment de tout futur envisageable, elle avancerait dans le temps en priant pour ne pas devenir folle. Elle survivrait minutieusement, comme en cette seconde précise, accrochée au mouvement avec l’énergie du désespoir, puisque la vie était bouger, courir, sauter.
Elle oublierait peut-être, un jour, demain, après-demain, qu’elle n’avait pas eu suffisamment de forces pour aider son prochain. Elle s’en rappellerait en se regardant à nouveau dans un miroir. Les miroirs sont habiles à refléter les âmes. La sienne serait peut-être trop noire pour qu’elle puisse encore l’apercevoir.
Bucarest est une ville double depuis des siècles. En haut, il y a le monde tel que nous le connaissons. En bas, il y a un autre univers, entièrement construit sous la terre, auquel appartient à coup sûr cette enfant.
Elle pensa au gaz qui devait se répandre de la même façon. Des fuites sournoises provoqueraient elles aussi leurs lots de morts. Prise de panique, elle manqua d’air. Mieux valait chasser cette idée de son esprit. Ne plus penser. Oublier que le monde avait perdu tout sens commun.
Le monde ne possédait plus aucune ligne droite. L’espace avait été haché en tous sens. Les couleurs avaient disparu. Seul demeurait un gris universel qui noyait tout contraste.
Des vibrations revenaient en vague mourante, amenant d’autres effondrements, d’autres nuées de poussière, d’autres roulements de pierres dans un silence assourdissant.
elle n'avait guère envie de baragouiner aux serveur un mauvais mélange d'anglais et de roumain qui la ferait finalement se retrouver seule devant un goulasch peu appétissant.
Des débris s’amoncelaient sur son corps. A quelques mètres, la fenêtre était un trou béant qui s’ouvrait sur un ciel rouge comme un incendie.
D’autres gravats continuèrent à choir, l’ensevelissant de plus en plus. Elle hurla de plus belle, viscéralement effrayée. De la poussière entrait dans sa bouche. Du sable, de la craie, de la pierre s’engouffraient jusqu’au fond de sa gorge et crissaient sous ses dents qui claquaient de terreur.