« Le corner les aura tous. »
Une fois n'est pas coutume, c'est par la fin que nous commencerons et par cette phrase glaçante qui conclue le premier tome du « Corner » de David Simon. Qu'est-ce que le « corner » ? C'est un des multiples lieux de Baltimore Ouest où se réunissent dealers, drogués et gamins délaissés, un petit coin d'Enfer comme on en trouve tant où s'échangent crack et cocaïne contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Dans ce marasme humain, traînent bien quelques âmes pures, mais elles sont si rares, si fragiles, si vite noyées sous les immondices… Comme cette pauvre femme qui s'échine à faire vivre le centre aéré du quartier, cette maitresse d'école épuisée ou cette gamine folle amoureuse d'une petite frappe et fille-mère à l'âge de treize ans. Mais pour la majorité de ses habitants, le « corner » est ce qu'il est et ils ne s'imagineraient pas vivre autrement. Gary, ancien entrepreneur réduit à la mendicité par la toxicomanie, Fran, son ex-femme vivant dans une chambre de dix mètres carrés avec ses deux enfants, DeAndre, leur fils de quinze ans dealer à ses (nombreuses) heures perdues… Pour eux, le « corner » est le seul monde possible, le meilleur des mondes pour peu que l'on réussisse à mettre la main chaque matin sur sa dose journalière.
Roooolala, je ne vous dis pas la déprime... Par ces frileuses journées automnales, on peut toujours compter sur David Simon pour vous garder le moral au beau fixe ! D'un autre côté, il n'a pas tort, le Simon : l'Amérique, il faut bien lui mettre de temps en temps le nez dans sa merde et frotter vigoureusement pendant quelques minutes pour que le message passe bien. Et je parle de l'Amérique, mais la misère et la drogue sont des fléaux que l'on retrouve hélas dans tous les pays dits avancés. Avec « The corner », Simon signe donc à la fois un passionnant roman social sur les USA des années 90, mais aussi une oeuvre universelle destinée à tous et à toutes. Récit chorale faisant intervenir des dizaines de personnages, « The corner » nous offre à la fois un portrait très complet d'une population et un réquisitoire effréné contre le gouvernement qui l'a abandonnée à elle-même. Passages romancés et purement analytiques s'alternent, peignant un tableau d'une humanité en décrépitude d'une bouleversante horreur. Ajoutant à cela qu'il écrit fort bien, le bougre, et vous comprendrez pourquoi ce roman est un must-read absolu.
Et là, c'est le drame ! Par ce que ce premier tome de la duologie « The corner » est sorti en français en 2012 et depuis… Ben, on n'a jamais entendu parler de la suite ! Je vais donc devoir regarder la mini-série adaptée par Simon et son partner in crime, Ed Burns, pour connaître la fin – qui sera sans doute épouvantablement déprimante, n'en doutons pas. Je m'en réjouis d'avance.
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D'emblée le lecteur est plongé au coeur du corner dans les rues de Baltimore hantées de zombies à la recherche de leur dose, de rabatteurs psalmodiant à l'encan leur dernier arrivage : blue tops , big whites , red tops, spider bags..., de guetteurs, de dealers, de familles en déshérence. Certaines figures deviendront familières au cours du récit, David Simon se focalisera sur quelques personnages dont la ténacité, la déchéance, la mort retiennent notre intérêt voire notre empathie même si chacun est, reste et finira victime nécessaire de ce système impitoyable que rien ne peut arrêter.
L'univers de la drogue : héroïne, coke, crack, la police, la justice, l'éducation, la famille, l'emploi, la politique … les institutions sont impuissantes et ne proposent au mieux que des slogans inopérants, inadaptés. La réalité du corner est un cauchemar mais les constats des solutions proposées au niveau national sont effarants : « enfermer un homme en prison coûte plus cher que l'inscrire à Harvard », dans un territoire où 80 % des habitants sont touchés à divers titres par la drogue. Des vraies questions sont posées.
Là où Baltimore du même auteur se concentre sur le travail de la brigade des homicides, The corner est une véritable immersion dans les centres villes rongés par le trafic de drogue. Les événements relatés dans ce livre ont eu lieu en 1993 : 25 ans déjà ! La situation a-t-elle changée ?
Vous l'avez compris : cet ouvrage est une lecture incontournable. Les ouvrages de David Simon sont passionnants et d'une grande intelligence.
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